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Corona Chroniques – Célia

Sainte-Marie, Jour 10

« J’attends d’accoucher dans des conditions un peu bizarres. J’avais un dernier rendez-vous ce matin, je suis censée accoucher après-demain, dimanche. Je serai toute seule à la maternité. Mes parents ne pourront pas être là. Mon ami non plus. Il a eu le dernier avion. Il est arrivé hier soir. Résultat, il est venu à la maison mais ne pouvait pas s’approcher. Il était au loin, ganté, masqué. Je ne l’ai pas vu depuis quatre mois quand même ! Il a pris le dernier avion pour quitter Taïwan avec tous les Français qui se sont rabattus vers l’Europe. Plein de gens qui revenaient d’Australie, de Bali, de Hong-Kong, de Singapour qui se sont retrouvés à Taipei pour le dernier avion pour l’Europe. Il est arrivé en France et ça été pareil. Les derniers vols autorisés pour la Martinique. Et ce n’était pas simple ! Il lui fallait un justificatif pour faire Paris – Fort-de-France. Il faut que tu sois d’une profession indispensable, ou en situation de regroupement familial ou de rapatriement sanitaire. 

– Il a eu des instructions de mise en quarantaine ?

– Je ne pense pas qu’il y ait de procédures pour l’instant. Ils ont failli ne pas le laisser monter. Tous ses papiers indiquent qu’il habite à l’étranger, heureusement qu’il avait son portable, ils ont retrouvé mon dossier de suivi et on l’a laissé monter. Sa sœur aussi voulait venir. Résultat, ils s’imposent à eux-mêmes des procédures et contrôlent leurs températures tous les jours. Mais rien à voir avec Taïwan. Je ne suis pas paniquée, mais je respecte les consignes. Je me suis disputée avec mon père hier soir, ils ont gagné les municipales donc ça a été bain de foule, soirée compas, démonstration de judo… 

– Oui, j’ai vu ça circuler !

– Résultat, on l’a confiné. Et je me suis enfermé dans ma chambre. Je suis sereine, je n’ai pas de grand stress. On a fabriqué nos propres masques avec un tuto YouTube japonais, car c’est eux les boss du DIY (NDLR Do It Yourself, faites le vous-même), en utilisant la matière des parapluies. Et oui, ça repousse l’eau.

Mon copain va galérer pour retourner à Taïwan. Il bosse dans un grand groupe textile, et il multiplie les allers-retours avec la Chine. Ça c’est fini pour le moment. Il va travailler à distance pour une période indéterminée. C’est pas grave, on va gérer. Ce qui m’inquiète, c’est que les tests, les visites du soir, tout le suivi ce sera impossible. Quand j’aurai accouché, je ne pourrai plus faire le suivi à la maternité. Il faut faire de la place pour les malades du corona. Il me faudra trouver quelqu’un en libéral. Ce sera compliqué. Quand je vois tous les gens qu’on envoie chez eux pour libérer des places. Il y en a qui vont souffrir plus que d’autres. 

– Tu as un garçon, une fille ?

– J’ai une fille.

– Elle s’appelle comment ?

– Comment ? Tu ne sais pas qu’il ne faut pas dire le prénom en avance ?

– Non, je ne savais pas. (Rire embarrassé)

– Il ne faut pas dire le prénom en avance. Ma mamie m’a dit explicitement que ça porte malheur. Mais ça fait un moment qu’on a trouvé. J’ai besoin que ça finisse, elle commence à être lourde à porter ! »

Célia est maman de la petite Ana. 

Ces chroniques sont issues de vraies conversations mais réécrites et parfois recomposées. J’espère leur faire justice. Corona Chroniques est une série, un épisode tous les jours. Retrouvez les précédentes Chroniques :
23/03/2020 Giula, Rome
24/03/2020 Aurélie, Montréal
25/03/2020 Luis, Berlin
26/03/2020 Marina, Copenhague
27/03/2020 Carla, Barcelone
31/03/2020 Amélia, Paris
01/04/2020 Ben, Sud de la France
02/04/2020 Sanza, Hong Kong
03/04/2020 Nicolas, Kuala Lumpur
04/04/2020 Amandine, Saint-Denis
06/04/2020 Hsiao Wei, Taipei
07/04/2020 Anna, Paris
08/04/2020 Marie-Hélène, Gros-Morne
09/04/2020 Nadia, Schoelcher