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Corona Chroniques – Nadia

Schœlcher, Jour 19

« Pardon pour ce matin.

J’avais un truc à gérer avec une asso qui s’occupe des femmes migrantes. Une des femmes n’avait plus de maison donc il fallait lui trouver un endroit. Tu sais en ce moment il y a pleins de structures de support qui ne fonctionnent pas. Les maisons d’accueil, les lieux-refuges. Là je parlais de l’association D’Antilles et d’ailleurs. Ce sont aussi les mêmes qui s’occupent de l’association Le Nid qui assiste les femmes qui essayent de sortir de la prostitution. On ne peut pas utiliser les mêmes outils qu’en France, la prostitution est structurellement différente ici. En ce moment, elles sont à fond. Imagine le coronavirus pour les prostituées. Pas de clients, pas de lieux, rien. Elles vont se retrouver dans des grosses situations. Et si on pense aux femmes qui vont se retrouver enfermées avec les gens qui les battent. C’est un moment dur à porter pour les organisations féministes. Et on ne reçoit pas vraiment de considération. Ou de moyens. 

Mon frère est enfermé dans un toufé yenyen à Nation. Il a vue sur cour. Il ne voit pas le ciel ! Là, il en a marre du télétravail, il veut faire une rupture conventionnelle et rentrer au pays. Dix ans qu’il y pense, dix ans qu’il en parle. Et là ça lui est revenu fort. 

– C’est un peu un moment où se rend compte de ce qui est essentiel, et on essaye d’y retourner. 

– Ou que l’essentiel nous pète à la figure. Nous, ces jours-ci on kiffe la parentalité. Normalement, ils sont toujours avec l’assistante maternelle. Enfin on est là, mais on travaille aussi. Donc on rate des moments. On est peut-être un peu frustré. On vit à cent à l’heure. Là on peut passer un maximum de temps ensemble à peindre, à lire, à jardiner, à jouer. Là on vient de planter un petit avocatier. J’ai l’impression que c’est la première fois que je joue avec mes enfants. Avec mon compagnon, on alterne : deux heures de travail, deux heures avec les enfants. Chacun son tour. Pas d’excuses, pas d’échappatoires. 

(Elle s’interrompt, sa fille lui demande quelque chose) Maman est occupée là, tu veux lire ? Va voir Papa. Papa dort ? Bah c’est son tour ! (Elle rigole comme un méchant de film). Oui, excuse-moi. Mon corona ça s’est pas trop mal passé. Enfin c’était difficile pendant une semaine, j’étais assez épuisée. Ça m’a frappé dix jours après le début du confinement. Mais on était bien organisé, donc ça va. On est assez autosuffisant. Je ne mets pas souvent les pieds dans un supermarché. On récupère nos paniers de frais chez Ta Nou ou Petit Cocotier. Et c’est extraordinaire. On mange les tomates Bio comme des fruits. On récupère les graines pour faire un peu de jardinage. Quand tu as des enfants en bas-âge il faut faire attention à ce que tu manges, et quand tu allaites, avec le chlordécone, il ne faut pas faire n’importe quoi. Et puis ça confirme nos choix de vie : de l’importance d’avoir un jardin, avant on vivait en appartement en pleine ville, et quand on a eu des enfants on s’est dit qu’il fallait qu’ils aient ce contact avec la terre. Et puis que nous-mêmes aussi nous le retrouvions. 

Quand le corona m’a touché, je ne me suis pas confinée de mes enfants. Dans le sens où personne ne pouvait nous dire si c’était dangereux. J’ai un bébé de quatre mois et une autre de deux ans et demi. Quinze jours ou plus avec ta mère qui ne te touche pas, qui t’évite. Ce n’est pas bon. J’allaite donc je donne des anticorps à mon nourrisson. Et pour ne pas donner le virus à mes enfants, il aurait fallu que j’arrête de leur donner de la tendresse. Ils ont besoin de tendresse. Ils en ont besoin pour vivre. Alors, certes, ils ont l’amour de leur père, mais bon. Ce n’est pas pareil. » 

Elle rit comme un méchant dans un film.

Nadia est.

Ces chroniques sont issues de vraies conversations mais réécrites et parfois recomposées. J’espère leur faire justice. Corona Chroniques est une série, un épisode tous les jours. Retrouvez les précédentes Chroniques :
23/03/2020 Giula, Rome
24/03/2020 Aurélie, Montréal
25/03/2020 Luis, Berlin
26/03/2020 Marina, Copenhague
27/03/2020 Carla, Barcelone
31/03/2020 Amélia, Paris
01/04/2020 Ben, Sud de la France
02/04/2020 Sanza, Hong Kong
03/04/2020 Nicolas, Kuala Lumpur
04/04/2020 Amandine, Saint-Denis
06/04/2020 Hsiao Wei, Taipei
07/04/2020 Anna, Paris
08/04/2020 Marie-Hélène, Gros-Morne
10/04/2020 Célia, Sainte-Marie