Taipei, Jour 75
“Je sors d’une compétition start-up pour écoles où j’étais juge. Un truc qu’un ex-collègue ne voulait pas faire. Donc je l’ai remplacé. Il y a énormément d’argent dépensé sur ce type d’événement. Pas mal des projets ressemblent à du travail de classe plutôt qu’à un vrai projet. J’ai eu l’impression qu’aucun d’entre eux n’envisageait vraiment de les réaliser.
– Mais chaque taïwanais n’est-il pas un mini-entrepreneur ?
– Hum, non je ne crois pas. C’est un mythe tout ça. Mais bon ce n’est plus trop quelque chose qui me préoccupe. J’ai quitté mon boulot en février. J’avais décidé de partir dans un trek de six mois aux États-Unis. Le Pacific Crest Trail, tu traverses toute la côte ouest des États-Unis de la frontière mexicaine à la frontière canadienne, en passant par la Californie, l’Oregon, l’État de Washington. Il y a toujours des vols, mais j’ai décidé de repousser. En tant qu’étrangère, en tant qu’asiatique, ce n’est clairement pas le moment pour aller aux États-Unis. Je n’ai pas peur de voyager seule, je l’ai déjà fait. Mais s’il m’arrive quelque chose, je ne sais pas vraiment comment je pourrais me défendre. Et l’atmosphère là-bas est clairement au racisme anti-asiatique. Ici, on a bien géré. On a fait tout le contraire des autres pays, chaque info venant de Chine, on a fait le contraire de ce qu’ils préconisaient. Mais même si c’était bien organisé, les gens ont quand même paniqué pendant deux mois. Je dis ça, mais j’ai moi-même stocké de la nourriture pour deux semaines. Les essentiels. C’est chiant un peu. Je viens de quitter mon boulot, je voulais m’accorder un peu de liberté, du temps pour réfléchir à ce que je voulais faire pendant deux ans. Mais j’éprouve de l’anxiété : on va clairement faire face à une crise économique conséquente, ce n’est peut-être pas le moment d’être sans emploi.
En attendant que les choses s’éclaircissent, je réfléchis. Demain, c’est le dernier jour de mes vingt ans. Je me voyais vraiment m’échapper dans la nature pour ces derniers jours. Cette décennie a été difficile. Tellement de challenges, tellement de chaos, tellement d’essais… Tellement de reniements personnels. Des renoncements que je ne veux pas porter avec moi dans ma trentaine. J’avais prévu d’utiliser le Nouvel An chinois pour planifier mon voyage. J’ai plus passé mon temps à faire de l’introspection. A toute les relations que j’ai eu dans ma vingtaine. Tu vois, j’ai fait un peu de nettoyage, j’ai essayé de mettre de la clarté. J’étais chez mes parents. J’ai eu une énorme dispute avec ma mère. À propos d’une histoire de sandale. Des putains de sandales ! Je ne lui ai pas parlé depuis. Ça fait presque un mois. Mais pendant cette dispute, j’ai compris pas mal de choses que je n’avais pas appréhendées avant. Des choses de mon enfance… Donc je suppose que c’est notre dynamique ! Donc mmh ma vingtaine, je ne veux plus jamais revivre ça !
– Comment tu envisages ta trentaine ?
– Marcher pendant six mois quelque part, au milieu de la nature et des grands paysages. Après, on verra. »
Hsiao Wei n’a toujours pas bougé.
Ces chroniques sont issues de vraies conversations mais réécrites et parfois recomposées. J’espère leur faire justice. Corona Chroniques est une série, un épisode tous les jours. Retrouvez les précédentes Chroniques :
23/03/2020 Giula, Rome
24/03/2020 Aurélie, Montréal
25/03/2020 Luis, Berlin
26/03/2020 Marina, Copenhague
27/03/2020 Carla, Barcelone
31/03/2020 Amélia, Paris
01/04/2020 Ben, Sud de la France
02/04/2020 Sanza, Hong Kong
03/04/2020 Nicolas, Kuala Lumpur
04/04/2020 Amandine, Saint-Denis
07/04/2020 Anna, Paris
08/04/2020 Marie-Hélène, Gros-Morne
09/04/2020 Nadia, Schoelcher
10/04/2020 Célia, Sainte-Marie