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Black Panther, modernité noire : la réappropriation

Alors proposons un peu de culture générale et une contextualisation de l’évolution de Black Panther. De 1966 à 1998, Black Panther n’est écrit que par des auteurs blancs. Jamais ils ne questionnent la pertinence du mythe wakandais. Jamais ils ne se disent qu’il y a peut-être des choses à explorer dans cette utopie figée, un peu mal située dans l’histoire et qui ne fait pas vraiment rêver : Black Panther est durant la majeure partie de son histoire de publication un personnage très secondaire.

Bien entendu, un auteur blanc aurait pu explorer ce personnage différemment mais ce ne fut pas le cas. Même Kirby et Lee aurait pu faire des recherches pour enrichir le personnage et son mythe. Mais leur mode de production et de création étaient ultra-rapide, Lee inventant des dialogues et des histoires souvent à la dernière minute. Dès lors, il ne pouvait que se reposer sur sa culture générale. Cela suffit quand il s’agit de mythes largement propagés et valorisés dans l’imaginaire occidental à cette époque, comme les mythes romains ou nordiques. Mais quand il s’agit d’Afrique et de cultures noires ? On aura droit à du cliché. À de la permanence.

Le premier Killmonger ne critique T’Challa que parce qu’il passe son temps dans le monde “des blancs” plutôt qu’au Wakanda. Les Jabari et M’Baku, sans parler de la problématique du Culte du Gorille Blanc (ou du fait qu’il s’appelle l’Homme-Singe à sa création), ne sont même pas hyper-traditionalistes (dans le sens de conservateur), ce sont concrètement des Amish africains, refusant l’usage de la technologie (alors qu’elle est wakandienne, africaine !) sous prétexte qu’elle ne serait pas respectueuse des valeurs africaines traditionnelles telles que les imaginent les occidentaux.

Et cette manière de penser ne s’arrête pas aux années 1960, puisqu’un Sarkozy, celui qui a écrit son texte, ou un Enthoven, peuvent sortir des grossièretés pareilles dans des occasions officielles ou des émissions de radio de grande écoute au 21e siècle en France sans se faire complètement discréditer intellectuellement.

C’est l’imaginaire occidental qui crée et projette une Afrique sans histoire, qui ne “rentre pas dans l’Histoire”. Et ce sont souvent des créateurs d’origines différentes qui l’imaginent (plus correctement) différente. Dans le cas de Black Panther, c’est un fait historique qui confirme qu’effectivement la diversité dans les milieux de la création et de la production intellectuelle et artistique apporte de nouvelles perspectives. Mieux, de la profondeur et de la pertinence.

Pour preuve, le personnage de T’Challa connaît une mini-révolution avec l’arrivée de Christopher Priest en 1998. Christopher Priest ressemble à ça :

Christopher Priest

Les Dora Milaje inspirées des amazones du Dahomey ? Nakia l’espionne ? Okoje, la conseillère principale du roi ? C’est lui. Les Chiens de Guerre, ces espions et assassins implantés sur toute la planète afin de garantir la sécurité du Wakanda et qui obéissent au doigt et à l’oeil aux désideratas du Roi ? C’est lui. Les crimes du père de T’Challa ? C’est lui. Le thème majeur qu’il y a un gros problème avec le fait qu’une nation africaine aussi avancée et stable à travers des siècles repose sur une royauté non-parlementaire, où le trône est décidé par un duel réservé aux hommes ? C’est lui.

Priest sculpte le matériau brut, primitif de Kirby et Lee, et lui donne enfin forme. C’est un auteur noir qui fait rentrer Black Panther dans l’Histoire, parce que pour lui il est évident que le roi d’une civilisation mythique représentant l’imaginaire de tout un continent et de sa diaspora ne saurait être un personnage superficiel et secondaire. Que son lieu ne saurait être la projection des pires clichés de la colonisation. Que sa relation avec le monde ne pourrait être celle d’un reclus. Que quelque part aussi, ce serait un mensonge de penser une civilisation africaine majeure pure de tout apport extérieur.

De penser n’importe quelle civilisation comme pure, tout simplement. Et c’est cette réflexion que l’on retrouve condensée dans le film. 

« Black Panther, modernité noire » est une série. Retrouvez une partie chaque jour.
I. Aux sources de Black Panther
II. Marny, la Panthère noire
III. Wakanda, l’Atlantide noire
IV. L’impossibilité du Wakanda
V. La réappropriation
VI. Hegel et Zera Yacob
VII. Erik
VIII. La vengeance est-elle une solution politique ?

Texte paru originellement dans le Zist 18, en Février 2019. Ceci est une version rééditée et augmentée pour le web.