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Penser un média digital antillais au XXIe siècle III

L’arrivée du Web aurait dû permettre un redéploiement et un enrichissement de la presse aux Antilles. Dans beaucoup de pays, l’arrivée du blogging, des forums et des pure player (ces médias 100% digitaux) au tournant des années 2000 a permis un élargissement de l’expression démocratique. L’impact en France et ailleurs dans le monde fut immédiat. On peut penser notamment au rôle non négligeable qu’ont joué les blogs lors du référendum français sur le traité établissant une constitution pour l’Europe remporté par le Non en 2005. En Corée du Sud, l’une des premières applications de messagerie et le site de blogging  OhmyNews permettent l’élection d’un ancien leader étudiant, opposant de l’époque de la dictature, Roh Moo-hyun. Dans le cas de la campagne de la première campagne de Barack Obama, c’est toute l’organisation “grassroots”, du terrain, qui est repensée au Etats-Unis.

L’Internet permet de mieux informer, mobiliser, coordonner, financer. L’Internet parle aux jeunes. L’Internet permet les révolutions : qui se souvient encore des pommades passées sur Facebook et Twitter à cause du rôle de facilitateur joué par ces plateformes lors des Printemps Arabes au début des années 2010. Ah ce temps pas si lointain où Facebook était un “ami de la démocratie” !

Puis l’opinion publique a pris conscience des dangers incroyables que pouvait représenter l’utilisation de nos données sur le web avec le scandale de Cambridge Analytica en 2016. Vous savez, l’influence exercée sur le réseaux à coup de campagnes ciblées afin de favoriser le Brexit et l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis ? C’est ça.  Mais en quoi cela nous concerne-t-il ? Il ne s’agit que des Grandes Nations “. Au contraire. Bien au contraire.

En 2010, juste avant une élection majeure à Trinidad et Tobago, une campagne sociale invite les jeunes à “Do So”, croiser les bras en signe de refus, c’est à dire à refuser de voter en signe de résistance à l’apathie politique. La campagne se veut un mouvement social branché : il y a des morceaux de soca, des posters, des chorégraphies en son honneur. Il vise “les jeunes” et se veut “apolitique”. Il se trouve que Trinidad est composée de deux grands  groupes ethniques : les afro-trinidadiens et les indo-trinidadiens. Après l’indépendance en 1962, chaque ethnie s’est constituée en tribus et partis politiques correspondant. Dès qu’une majorité est au pouvoir, elle en profite pour mettre en place un système de népotisme et de clientélisme qui profite à son ethnie au détriment de l’autre. C’est hyper sain comme fonctionnement. 

La campagne “Do So” ? Lancée par Cambridge Analytica  pour le parti hindou, l’UNC, afin de faire les jeunes ne pas se déplacer pour voter. Où plutôt : faire les jeunes Afro-Trinidadiens ne pas voter. La piété filiale forçant les jeunes Hindous à faire ce que leurs parents demandent dans un beaucoup plus grand nombre. L’écart de voix dans les 18-35 ans fut de 40%, ce qui rajouta 6% de votants pour le parti hindou qui remporta l’élection parlementaire de très peu… La Caraïbe (et d’autres terrains) où les démocraties sont jeunes et fragiles ont servi de laboratoire à Cambridge Analytica avant de se lancer dans de plus gros projets et pas l’inverse.

Ainsi au Brésil, un torrent de fake news via WhatsApp venant essentiellement de l’extrême droite a considérablement influencé l’élection présidentielle remporté par le nostalgique de la dictature militaire, Jair Bolsonaro. WhatsApp compte 120 millions d’usagers sur 210 millions d’habitants. Une étude a calculé un échantillon de 11 957 messages viraux sur la plateforme. 42% des fake news venaient de sites de droite, 3% de sites de gauche. Avec quatre catégories principales : qu’une conspiration serait menée pour frauduleusement diminuer le vote Bolsonaro ; qu’il y avait un complot pour assassiner Bolsonaro ; 16% de cette rhétorique visait à dévaluer le système politique et les média publics comme corrompus reflétant beaucoup de mots clés de Jair ; 14% de ces messages visaient des figures de la gauche, des politiciens, des activistes en utilisant beaucoup de mêmes homophobes et anti-féministes. On sait maintenant qu’à minima, l’assassinat de l’activiste Marielle Franco a été le fait de sympathisants de Bolsonaro.

Le rôle de l’Internet, des réseaux sociaux n’a jamais été aussi important : dans la manière dont nous nous informons, dans le faire politique mais aussi dans tout ce qui fait notre fabrique sociale. Comprendre ces enjeux et bénéficier d’espaces qui permettent de diminuer les impacts potentiellement néfastes de la toute puissance de la donnée, de nos données, n’a jamais été aussi important. 

Penser un média digital antillais au XXIe siècle est une série
Pour commencer par le début c’est ici
La deuxième partie est ici
La fin c’est maintenant