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Le Pillage

Pas mal, pour un Nègre.

Frantz Fanon à François Jeanson des Éditions Seuil après la remise du manuscrit de Peaux Noires, Masques Blancs

Une génèse

C’est agréable de voir son travail reconnu.

Depuis avril 2018, je mène une revue culturelle et d’idées depuis des territoires où il n’en existait plus. Ou pas. Et où il est parfois difficile de convaincre de l’intérêt et de l’importance d’un tel projet. Bon an mal an, j’ai maintenu ma politique avec mes maigres moyens : de la qualité, de la recherche, de la mise en relation d’espaces, d’hommes, de femmes, de visions qui se ressemblent tant mais ne se parlaient plus. Il s’agissait pour moi d’établir une scène, un centre, relié à d’autres centres, souvent relégués en marge. Une structure aussi qui permettrait à des talents insoupçonnés d’apparaître, d’être vus, d’être lus. De décentrer notre production intellectuelle et artistique des capitales occidentales. Tâche impossible mais qui semble essentielle. Et autour, de créer et fédérer des communautés dont la richesse artistique et intellectuelle est proprement impressionnante quand rapportée à leurs tailles. Mais qui ont un mal terrible à se l’approprier et à en retirer les fruits.

Le Sucre, la série d’articles sur les actions de Kemi Seba en Martinique, publiée en libre accès sur le site de notre revue, porte principalement sur l’appropriation de son legs intellectuel par des forces que ce territoire ne peut comprendre. Il y a déjà bien assez d’urgences. Et elle tente de faire comprendre que ces urgences naissent d’une absence de vision collective. D’un vide intellectuel et politique inhabituel quand on pense ce territoire dans le temps long. Je me suis retenu de revenir au 18e siècle. Et puis il a fallu des recherches, le temps d’écriture, de relecture, d’allers-retours avec mon cercle de confiance sur ce sujet. Bref, du travail.

Pour le composer, il fallait une connaissance assez pointue du territoire, de son histoire, des idées qui y ont émergées. Et pouvoir les penser de manière critique. Je n’ai pas de position au CNRS, ou de doctorat, ou de relais dans Mediapart ou Politis, mais à sa lecture on peut comprendre aisément que cette connaissance est, je crois, fine. J’ai mis une vie à la raffiner. Comme un artisan.

Ce texte a été extrait d’une réflexion plus large écrite en 2018 et que j’ai eu du mal à publier. Il s’agit après tout d’une mise à nu : des combats, des mémoires, des choix politiques, des revirements et des errances. De gens que je connais. De gens que je respecte. De gens avec qui je suis en désaccord, parfois frontal. De ma communauté. De mon pays. Où je vis. Il a donc fallu une dose de courage. Écrire en pays dominé.

La clé principale, l’élément nouveau de ce texte, est que pour Kémi Seba et les manifestants martiniquais qui l’ont accompagné dans le rapt du sucre, celui-ci est seulement le symbole de l’exploitation esclavagiste puis salariale des colonisés et dominés de ce pays. Je tiens qu’il est aussi un symbole d’émancipation, de conquête, de progrès social et politique. Il invite à sortir la réflexion militante actuelle d’une pensée ahistorique, qui ne s’inscrit pas dans notre histoire et notre modernité.

Les quatre parties de ce texte ont été publiées du 28 janvier au 1er février 2020. Avec un succès certain.

Laurence va en Martinique

Laurence de Cock est une essayiste et historienne française. Agrégée, docteure en Histoire Science de l’Éducation, elle travaille essentiellement sur la réflexion et l’enseignement du fait colonial en France et notamment sur l’articulation entre l’universalisme républicain et la diversité culturelle. Elle participe à la rédaction de plusieurs manuels chez Nathan et ouvrages destinés au bacheliers. C’est une historienne pédagogue rigoureuse chargée de cours en didactique de l’histoire et pédagogie depuis 2005 à l’Université Paris-Diderot.

Célèbre et médiatique, son compte Twitter compte plus de 50 000 abonnés, elle est apparue sur France Culture, dans L’Humanité, Libération, Marianne, Le Monde, Le Monde diplomatique et j’en passe. Le 23 mars 2017, elle est invitée par L’Émission politique de France 2 pour débattre de l’histoire de France avec François Fillon, candidat des Républicains à l’élection présidentielle. Elle participe à une chronique avec l’historienne Mathilde Larrère sur Mediapart, intitulée « Les détricoteuses ».

Oui, j’avoue, je me suis principalement inspiré de sa notice Wikipédia en changeant des mots ici ou là pour éviter les accusations de plagiats. Ce ne sont pas exactement les mêmes mots partout, il manque des détails, mais l’essentiel est là.

Le profil Twitter de Laurence de Cock où elle exergue ses abonnés à citer les sources.

Laurence de Cock est de passage en Martinique depuis le 10 février pour faire part de son expertise à la communauté étudiante et pédagogique de Martinique à l’invitation d’universitaires. Notamment son livre Dans la Classe de l’Homme Blanc : L’Enseignement du fait Colonial . Ces présentations furent appréciées dans ce pays colonisé où l’invisibilisation du fait colonial a des conséquences lourdes. Un territoire qui se dépeuple de sa jeunesse et où celle-ci n’ayant jamais pu étudier ce fait colonial dans son parcours scolaire, se découvre une identité propre, particulière, à explorer à l’âge adulte. C’est ce vide d’opportunités éducatives dès le plus jeune âge qui crée l’attraction que peut avoir un Kémi Séba, l’ami noir du fascisme international.

La visite de Laurence de Cock se déroule dans un contexte particulier. En Martinique, les grèves du corps enseignant contre la réforme des retraites du gouvernement actuel et la suppression de postes dans l’Académie sont particulièrement importantes et innovantes. Laurence relaie tout cela sur son Twitter avec entrain, et dit même que la France hexagonale pourrait apprendre des méthodes de mobilisation déployées ici. Pas mal, pour des nègres.

Subitement, le 12 février, alors que ce n’est pas prévu dans son programme, juste après que des chercheurs et chercheures reconnus nationalement ont partagé et commenté positivement l’article, Laurence de Cock se découvre une passion pour l’usine du Galion, la dernière usine à sucre de la Martinique.

Le tweet de Laurence de Cock le 12 Février. Il a été supprimé depuis.

J’ai été alerté immédiatement. Il semblerait que Laurence de Cock ne soit pas à son coup d’essai.

La mise en scène de l’autorité

J’ai immédiatement indiqué à l’essayiste, que je suivais déjà mais dont je n’avais pas vu le tweet, que le hasard de son inspiration ne m’avait pas échappé. C’est le seul commentaire de ce tweet.

Si la crainte du pompage telle qu’elle m’avait été indiquée s’avérait, Laurence de Cock en tant que chercheure rigoureuse, femme de gauche engagée, aurait quand même fait le minimum de citer l’article en notes de bas de page. Encore plus dans Politis, une revue sérieuse, estimable et estimée, qui se revendique de la gauche anti-libérale et écologique. J’aurais été satisfait de voir mon travail reconnu, la revue que j’ai fondée, citée, et basta !

À vrai dire, je n’y faisais même pas vraiment attention. Nous avions pas mal de contenus à publier en accès libre cette semaine, notamment comment nous envisagions le rôle de notre revue dans le paysage médiatique de nos territoires. Et hier soir, un ami Facebook sort le texte de Laurence. Les commentaires sont élogieux. Du jamais vu ce texte. Brillant. Son titre : « Les plaies sucrées de la Martinique coloniale ». Laurence de Cock a rajouté quelques détails sur l’histoire du Galion notamment sur sa période esclavagiste. Sa conclusion :

Que dire dans ce contexte du geste de Sémi Kéba ? S’agit-il ici vraiment d’attaquer le pouvoir des békés ? Pourtant, de capital majoritairement public, l’usine n’est pas dans leurs mains. On peut même considérer qu’elle est le symbole – aujourd’hui très fragilisé – d’une réappropriation par des descendants d’esclaves. Kemi Seba ou l’art du grand n’importe quoi idéologique contre l’histoire. 

Laurence de Cock, Les plaies sucrées de la Martinique coloniale, (version originale), Politis 19/02/2020

L’architecture. L’angle d’attaque. La problématique. L’élément nouveau. Des passages entiers. L’essentiel est là. Je regarde la note de bas de page :

Laurence de Cock, Les plaies sucrées de la Martinique coloniale, (version originale), Politis 19/02/2020

Me voilà pompé honteusement, je suis invisible, inexistant. Une seule source mentionnée, Myriam Cottias, historienne trop importante pour être ignorée. Mais pour un point annexe, plus général. Tout le reste sort du cerveau génial de Laurence de Cock, qui pense ce paradoxe du sucre de manière totalement originale et tout cela en à peine une semaine en Martinique ! Sémi Kéba compris. Oui, elle a écrit « Sémi Kéba » dans sa version originale.

Car Laurence de Cock sait exactement ce qu’elle fait quand elle procède ainsi. Figure médiatique et institutionnelle, elle pense imprimer ce texte comme un précédent. Du haut de sa plateforme considérable, il ne sera pas seulement partagé et lu davantage, mais repris par la presse, les universités, et autres institutions de savoir. Si je me tais, si je réagis trop tard, ou que ma plainte n’est pas assez relayée, mon travail sera secondarisé voire effacé. Car c’est sa note de lecture de 1000 mots (là où Le Sucre en fait presque 10000) qui aurait été référencée.

C’est du vol. Dans sa position, son rôle, ses discours et engagements politiques, c’est dégueulasse. Il n’y a pas d’autres mots.

Alors j’ai tapé fort.

Mon tweet hier soir 19h00.

J’ai été appelé dans la foulée par une jeune chercheure martiniquaise, Elsa Juston, qui était mentionnée dans le tweet de Laurence de Cock comme participant à l’écriture de cet article. Elsa Juston vient de lancer avec d’autres jeunes chercheurs antillais une plateforme de podcast et de vidéos avec pour objectif de vulgariser les savoirs universitaires produits sur la Caraïbe : Oliwon Lakarayib (soutenez !). Elsa m’explique qu’elle n’avait pas lu mon texte et a juste été la relectrice de celui de Laurence, mais qu’après en avoir pris connaissance, elle trouvait la ressemblance troublante et qu’elle contacterait Laurence pour lui dire de m’appeler.

Voici mon échange avec Laurence de Cock :

Échange avec Laurence de Cock.

C’est donc Elsa Juston qui lui a donné le sujet. Problème : Elsa n’enregistrerait un podcast avec Laurence de Cock que le lendemain de la visite de cette dernière au Galion, le 13 février. Une des collaboratrices de ce podcast était surprise de l’intérêt subit de Laurence de Cock pour l’usine du Galion. « Ce n’était pas dans son programme ».

Que fait donc Mme de Cock dans ces messages ? Elle tente de mettre en opposition deux jeunes Antillais que tout rassemble. Elle se sert. Elle ment. Elle divise. Elle se barre. Elle récolte les fruits de notre labeur.

Je l’ai confrontée à ce sujet. Elle a nié. Puis avoué à demi-mots. Je lui ai donné la nuit pour réparer le tort causé, et que je verrais comment elle qualifierait le travail de mon « blog » dans sa note de bas de page. Toute cette conversation est bien entendu archivée et prête à être mise à disposition si besoin est.

Le lendemain matin :

Laurence de Cock, Les plaies sucrées de la Martinique coloniale, (version retouchée), Politis 20/02/2020

« Blog ». Pas de nom d’auteur. Pas de nom de revue. Un lien qui ne marche pas, mis n’importe comment. Même pas le minimum syndical. Entre temps, à travers de nouveaux messages, Florence m’explique « je lis votre blog. Je n’ai pas souvenir d’une révélation, mais d’une confirmation, avec vos mots ».

Laurence de Cock se fendra aussi pendant la nuit d’un fil Twitter où elle adresse le « shitstorm », parlera de « remise en cause », qu’effectivement elle a « invisibilisé » et qu’elle le regrette. Sur un nouveau compte Twitter. Laurence ayant supprimé le précédent de peur d’agressions et de menaces de mort. Et oui, de voleuse, la voilà victime. Sans nier les possibles menaces qu’elle ait pu connaître, c’est tellement caricatural que ça en est drôle. Personne ne vous mangera, ô Blanche Colombe !

Le fil de Laurence :

Vous remarquerez quelque chose qui manque : mon nom y est absent (je n’étais pas encore bloqué par Laurence, car oui, elle m’a bloqué). Pas de mention de la revue Zist. Pas de lien vers l’article.

Et surtout la mise en scène du hasard de nos inspirations, qui sont communes, que dis-je, égales mais différentes. Elle n’a pas vu mon tweet du 12 février. Elle voulait écrire sur le Galion de son propre chef. C’est en discutant avec Elsa Juston et ses collaboratrices qu’elle a fait le lien avec Semi Keba. Elle m’a lu en fait. Ainsi que d’autres blogs. Lesquels ? Mmh…

Sauf que c’est bien elle qui a amené le sujet de discussion aux collaboratrices d’Oliwon LaKarayib. Il s’agit d’une mise en scène a posteriori de ce qu’elle préparait : le vol de la pensée originale de quelqu’un d’autre. Elle a dû se trouver hyper-fine. Et puis je suis trop petit et inconnu pour qu’une quelconque plainte puisse avoir voix face à son immense statut.

« Je lis votre blog. Je n’ai pas souvenir d’une révélation, mais d’une confirmation, avec vos mots »

Laurence de Cock, message dans la nuit du 19 au 20 février

Lettre aux Pilleurs

La Trinité, 20 Février 2020

Chère Laurence de Cock,

J’ai préféré vous écrire que vous appeler. J’espère que vous ne m’en voudrez pas. Après tout, si je relis bien nos deux contributions, c’est clairement mon privilège à moi.

Je n’ai pas besoin de vous poursuivre en justice. Il suffit de comparer nos deux textes. Il suffit d’avoir la chronologie ici exposée. Il suffit de lire vos petits mensonges et vos grandes entourloupes. De constater votre besoin urgent et compulsif d’éteindre l’affaire en la noyant de fils Twitter où vous prétendez une remise en question mais continuez notre invisibilisation. Il suffit de voir toute l’hypocrisie mal assumée de devoir me citer mais en le faisant imparfaitement, grossièrement, comme un hoquet mal maîtrisé. Il suffit de lire « Semi Keba » dans votre texte pour comprendre votre opportunisme et la pauvreté de vos recherches.

Et vous tombez vraiment dans un mauvais contexte. Celui de Kémi Séba (sans fautes) et des tentations qu’il offre, certes. Mais aussi parce que fraîchement revenu d’un événement parisien, on vient de me faire comprendre que l’existence même du projet Zist est une menace pour un certain nombre de pontes parisiens et européens, vautours de notre héritage intellectuel. Ça peut paraître mégalomane, mais c’est bien ce qui s’est passé, nous en étions mêmes surpris. Il ne faut pas que nous soyons trop visibles. Il ne faut pas que les canaux que nous créons soient légitimes. Il faut que nous continuons d’être vos nègres. Vos coolies. Vos bâtards qui font le gros du boulot et dont vous retirez les bénéfices. Tout cela bien entendu en vous positionnant comme les sachants. Il y a peu de différence entre vous et Kémi Seba (sans fautes) sinon la posture politique. C’est la même finalité : extraire le sucre de nos territoires.

Mais vous avez lu le texte trop vite. Il s’agissait aussi de dire, d’intimer qu’il est temps de mettre fin à ce pillage. Pour reprendre les mots de Sterling Brown, poète afro-américain :

One thing they cannot prohibit –
The strong men . . . coming on
The strong’ men gittin’ stronger.
Strong men. . . .
Stronger. . . .


Et je rajouterai « women ». Mi nou. Nous voilà.

Salut !
Zaka

Zaka Toto est le fondateur et le directeur de publication de Zist.

Cet article n’a pas suffi pour que Laurence de Cock et Politis reconnaissent leurs torts. Au contraire. Alors nous avons sortis les détails du plagiat et les mensonges répétés de LDC de puis le début. Le discours et la pratique, c’est par ici.

Cette article a été modifié le 22/02/20 afin de retirer les mentions de Laurence de Cock comme historienne. Elle est docteure en Sciences de l’éducation.

  1. Quel culot ! Plagier ainsi un auteur, l’invisibiliser pour s’attribuer ses mérites puis le bloquer sur Twitter !

    Nombreux sont ceux qui cherchent à s’approprier l’histoire et la culture des Antillais et des Guyanais tout en empêchant à ces mêmes antillo-guyanais de s’exprimer sur les sujets qui les concernent. Or, je pense que nous sommes parfaitement capables de parler en notre nom.

    Nous ne le rappelons pas suffisamment, mais nos sociétés ont produit et continuent d’engendrer d’innombrables intellectuels, écrivains, artistes, scientifiques, sportifs, politiciens et militaires malgré une faible population et une histoire tragique (extermination des peuples autochtones, commerce triangulaire, engagisme, BUMIDOM, pollution au chlordécone, etc.).

    Je ressens de la fierté quand je vois des jeunes comme Malcom Ferdinand qui s’emparent de la question du chlordécone à l’échelle nationale avec le concept d’écologie décoloniale. Enfin une voix antillo-guyanaise qui arrive à se faire entendre à ce niveau sur une problématique qui touche nos populations !

  2. Superbe réponse ! Bravo à vous, j’espère que l’affaire vous donnera la célébrité que vous méritez.

  3. Merci pour cette brillante analyse d’un énième pillage intellectuel parisien au détriment d’intellectuels caribéens. Nous avons tellement besoin de ce type de mise en perspective et de coup de semonce pour toujours mieux prendre conscience de l’ampleur de la lutte à réaliser face au cynisme du néocolonialisme blanc s’affichant décolonial

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