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Penser un média digital antillais au XXIe siècle

Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités

~ Oncle Ben

Fuck l’opacité

Zaka Toto, Zist 18

Dans le cratère de la disparition du quotidien France Antilles, les Antilles et la Guyane sont les seules régions françaises privées d’un quotidien. Ce sont aussi les seules îles de la Caraïbe à ne pas en avoir au moins deux. 

On ne le dit pas assez mais une presse de qualité est l’une des clés d’un espace démocratique de qualité et c’est un de ces outils qui vient de disparaître. Le rôle d’un quotidien imprimé de proximité dans des espaces vieillissants, qui sont loin de s’être convertis au digital dans leurs usages ne peut être assez souligné. C’est d’autant plus primordial quand on se dit que peut-être un jour ces espaces seront appelés à leurs pleines responsabilités. Le coût humain est aussi conséquent : 235 personnes licenciées

France-Antilles / France-Guyane était loin d’être parfait. Créé dans les années 1960 dans un contexte de dislocation de l’Empire colonial Français afin d’assurer la couverture de la visite du Général de Gaulle aux Antilles, France-Antilles avait pour mission de maintenir les “vieilles colonies” dans le giron Français. La visite officielle est couverte dans son entièreté mais n’y figurera ou ne fera jamais mention d’Aimé Césaire qui était le sherpa de Gaulle. Encore moins le fait, que c’était De Gaulle qui était venu séduire et rassurer de peur qu’Aimé Césaire soit trop indépendantiste. La République financera la création du quotidien et le donnera – quasiment – à Robert Hersant, ancien méga collabo, député de l’Oise. Hersant à l’époque c’est la Socpresse : Le Figaro, la Voix du Nord, Le Midi Libre etc soit l’essentiel de la presse régionale de France et le Grand Quotidien de la Droite Française.

En Martinique, France-Antilles était tellement un journal pro-état, pro-assimilation, pro-République, pro-France que les nationalistes l’appelaient “France-Manti”. Chaque élection était ramenée à un référendum “pour ou contre l’indépendance” avec un sommet en 1981 où l’élection potentielle de François Mitterrand à la Présidence était présentée non pas comme une possibilité d’alternance, ou l’arrivée des chars russes (comme c’était le cas en Hexagone) mais comme un risque de “largage” par la République. Remarquez le renversement : de menace pour l’intégrité  de la Nation et l’Unité du Peuple Français, l’indépendance devient une menace pour le territoire. Et le maintien dans la République une faveur que l’on nous fait. Giscard d’Estaing remporte lors de cette élection 78,48% des suffrages en Guadeloupe, 80,57% en Martinique, 66,50% en Guyane. À Fort-de-France, fief d’Aimé Césaire, allié de François Mitterrand, 81% des voix furent donnés à Giscard. Magie de la propagande.*

Aucun largage n’est arrivé bien entendu. À partir des années 80, F-A connaît sa “localisation”, avec des rédacteurs en chef locaux et devient un journal plus représentatif des opinions présentes sur les territoires, avec davantage de dossiers et de formats recherchés, où il est en situation de quasi-monopole. Mais enfin on reste dans la méthode Hersant : de l’information très people et médiocre, des petites annonces et des faits divers. Et un impact sur les mentalités qui durera : en 2003, lors du premier référendum sur l’évolution statutaire la peur du “largage” sera réactivée à coups de campagnes 4×3 et d’insinuations diverses et variées.

Une des raisons données de la faillite de F-A (par les salariés eux-mêmes !) est d’avoir pris le virage du numérique trop tard. Il faut dire que pendant longtemps la transition digitale était méprisé par un quotidien en position monopolistique avec la seule régie publicitaire existante et donc qui ne pouvait craindre aucune menace.

D’un point de vue éditorial, il n’est jamais venu non plus à l’esprit des décideurs du journal que cela pouvait être intéressant d’avoir des contenus produits pour Facebook, Twitter, Instagram, Snapchat et ce monde devenu accessible depuis ces smartphones qui ne nous quittent plus. Vu que des journalistes ne l’ont pas fait, d’autres s’en sont occupé. 

* Jacques Adélaïde-Merlande, Histoire contemporaine de la Caraïbe et des Guyanes: de 1945 à nos jours, p.194

Penser un média digital antillais au XXIe siècle est une série
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