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Papa Djab : Mille Miroirs

Ce qui était un dieu en Afrique est devenu un diable en Martinique.

Aimé Césaire, interview RFO (Martinique 1ère) 

Lors d’un voyage au Sénégal, en Casamance, Aimé Césaire dit avoir vu deux choses. Une femme qui était le portrait craché de sa grand-mère. Et, lors d’un festival culturel, un personnage masqué, portant des cornes, arborant des miroirs, qui ressemblait extraordinairement au diable rouge, Papa Djab, figure du carnaval martiniquais. Lui et son hôte partagent la surprise de voir que l’un comme l’autre semblent avoir les mêmes représentations. Même si peut-être avec un sens différent. Aimé Césaire d’en conclure : “ce qui était un dieu en Afrique est devenu un diable en Martinique”. 

Biabi, émission de Carnaval, Martinique 1ère

Papa Djab est un film documentaire du réalisateur martiniquais Christian Forêt (Paroles d’Intérieur, Ayakouman). Sous-titré “la face cachée sous le masque”, il tente de rétablir ce lien et ce sens entre cette figure du carnaval martiniquais et la figure cultuelle vue en Casamance. Il imagine ce retour à la source à travers Tanbou Bô Kannal, groupe de carnaval, association de quartier, mouvement culturel.

TBK se trouve à Rive droite Levassor, Bô Kannal en créole. C’est un ex-bidonville à l’habitat aujourd’hui solidifié formé lors de l’après Seconde Guerre mondiale par l’exode rural des habitants des campagnes martiniquaises qui fuyaient l’effondrement de l’industrie sucrière en Martinique. J’en parle longuement  dans En-Ville Cannibale

Ces quartiers (Volga, Trénelle-Citron…) et les habitants de ces quartiers étaient souvent vus comme exogènes à la ville, occupants des territoires insalubres, insécures mais vu aussi comme presque sauvages par les autorités, les urbanistes, la bourgeoisie de la rive gauche. Pourtant, ils vont faire de la capitale martiniquaise un creuset.

Fondé il y a cinquante ans, c’est un orchestre de rue revendicatif du point de vue de la cité : il veut donner une place légitime à ces habitants dits de “seconde zone”. Il s’agissait de redonner leur place aux rythmiques de tambours traditionnelles de Martinique notamment en jouant ce qu’ils appellent le kalennbwa, la fusion entre deux rythmes traditionnels, la calenda (bèlè) et le chouval bwa.

TBK a été fondé par des figures importantes de la culture martiniquaise. Notamment Victor Treffe, l’une des grandes voix du bèlè. Ou les frères Gernet et Thomasine. Dans la galaxie TBK on retrouve aussi Victor Lessort, mort récemment, figure de l’Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste Martiniquaise (l’OJAM), et un des parents du drapeau martiniquais Rouge Vert Noir. Ce drapeau est omniprésent dans les manifestations du mouvement culturel. 

Mi bèl jounin, Victor Treffre

Le film suit Malik Duranty, présenté comme sociologue, mais que l’on peut tout autant considérer comme un poète, un slameur, un “pawoleuw” comme il dit. Malik est une des figures de la scène culturelle qui fait irruption lors des grands mouvements sociaux de Février 2009. Malik nous emmène dans les dédales du quartier Bô Kannal, quartier dont sa famille est originaire. Et c’est de là que part notre récit. 

Ce qui a disparu, ce qui est extrêmement ténu c’est tout le savoir ésotérique qu’il y a sous le masque : il reste des choses, des fragments, des bribes, d’un édifice plus important.

Thierry l’Etang, anthropologue

Marie Lyne Psyché-Salpétrier explique que n’importe qui ne revêt pas l’habit du Papa Djab, qu’il faut être prêt, qu’il y a une forme d’initiation. Et que pendant longtemps le costume était réservé aux hommes. L’anthropologue Thierry l’Etang, nous parle de l’histoire du carnaval, et de l’apparition du Papa Djab dans les écrits au 19e siècle. Et puis il y a l’entrée de Victor Treffre dans les locaux de TBK. Plusieurs générations de facteurs et de porteurs de masques expliquent l’expérience et sa signification. Et notamment lavwa djab : Vi vi anno vi, dépi anno vi la djè déklaré… Papa Djab est un guerrier céleste, au cœur de la lutte entre le bien et le mal. Et ce n’est pas le mal.

Le film suit Malik et TBK à Gorée. Il y a la rencontre entre les afrodescendants et l’Afrique, la terre des ancêtres et toute l’émotion qu’elle comporte. Le voyage se fait plus poétique, abstrait. La voix de Malik Duranty se fait plus forte. C’est un peu un Cahier d’un retour au pays du Papa Djab. 

Christian Foret/France Télévision

Très vite, le film entreprend de connaître le secret des masques de Dakar à la Casamance. Le masque, c’est le guérisseur, l’ancien, l’ancêtre. La corne renvoie à la culture agraire, à la présence du taureau, à l’abondance. Le miroir est un talisman qui servirait à dompter les esprits bienfaisants ou malfaisants. Le rouge est une couleur royale, elle symbolise la puissance, l’autorité protectrice. Il y a des similitudes. Mais un Sénégalais dit aussi qu’il n’y a pas ces masques ici. 

Le film conclut sur une absence de réponse définitive, de lignes toutes tracées. Il n’y a pas un seul grand fleuve qui serait la source, mais plusieurs. Césaire a peut-être vu ce qu’il a voulu voir. Peut-être a-t-il forcé le trait parce qu’il fallait revaloriser nos ancêtres africains. Peut-être a-t-il vu à travers les temps et les âges pour saisir une essence. Dans le film Papa Djab, la quête de nos héros, bien que riche d’apprentissage, de connexions et de reconnexions, est finalement inassouvie. Il n’y a pas d’équivalent exact de notre Papa Djab. Mais c’est peut-être le voyage qui compte et ce continent que nous redécouvrons derrière le masque.

Christian Foret/France Télévision

Mais… Lors de l’avant-première du film, le réalisateur Christian Foret précise que certaines réponses n’ont pas été présentées dans le film. Qu’il n’avait pas voulu faire un documentaire exhaustif, bardé d’interviews, mais un voyage poétique. Alors ces réponses je vous les marque, elles ne seront peut-être pas perdues. Que l’on retrouvait des éléments du Papa Djab à travers la Caraïbe. Mais pas exactement les mêmes. Qu’il est bien possible que Papa Djab soit unique à la Martinique. Une création qui prend dans milles racines, dans milles miroirs. Que si une force du masque a été perdue avec la Traite, avec les siècles, une autre, d’autres ont été créés. Le masque devient symbole d’une force créatrice. Ou bien tout ceci est contenu dans cette image finale de Papa Djab parcourant une forêt tropicale bien de chez nous, vivant, bien vivant, resplendissant. 

Papa Djab, Documentaire —  Un film écrit et réalisé par Christian Foret
Durée 52 min — 2022
Le Zist : Un voyage poétique à travers carnaval, héritage africain et syncrétisme aux Antilles.

Pour voir le documentaire sur Martinique 1ère : 

https://www.france.tv/la1ere/martinique/tout-en-doc/4576348-emission-du-mardi-14-fevrier-2023.html