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Agoulou sé ta yo, agoulou sé pa ta nou

Un débat (Non, pas celui des législatives de 2017 – environ 22% de participation en Martinique comme en Guadeloupe) agite les Antilles depuis une semaine. Ce débat c’est la collaboration d’Admiral T, artiste dancehall majeur, et de McDonald’s pour le lancement du McGoulou, qui, selon les Guadeloupéens que je fréquente, ne ressemble à un Agoulou, la vraie spécialité guadeloupéenne, que de nom.

Coup admirable pour McDonald’s qui réussit à attirer un artiste consensuel et profondément authentique et qui véhicule entièrement ce que voudrait être le produit. Pour Admiral T et son image patiemment construite au fil des décennies, on en est moins sûr.

Le McGoulou

La “mentalité antillaise” vous emmerde

Le buzz fut immédiat et agité.

D’un côté ceux qui reprochent à l’artiste d’être un vendu, ou plus souvent, qui sont perplexes devant une certaine inadéquation entre ce que représente l’artiste et cette campagne.

De l’autre ceux qui applaudissent un Antillais qui fait de l’argent, disent que les critiques cèdent au “neg kont’ nèg” ou encore à “une mentalité antillaise” qui serait synonyme de jalousie et de petitesse. L’Antillais serait forcément petit, la taille de son territoire traduisant un manque d’élévation d’esprit ou tout simplement en connaissance marketing pour donner un avis valable.

Il est temps de mettre fin à ce deuxième argumentaire. Il dénote un mélange de mendicité, de haine de soi et de préjugés racistes assez affolants par ceux-là même qui se voudraient savants ou prescripteurs.

Tout d’abord, le Hater est universel, ni les Antillais ni les Noirs n’en ont l’exclusivité ou une concentration particulièrement extraordinaire qui en ferait un trait culturel.

En outre, ces débats autour des choix marketing d’artistes, de stars, de figures publiques existent partout dans le monde (Scarlett Johansson et SodaStream, ou encore Kendall Jenner, Pepsi et Black Lives Matter). Les entreprises portent des valeurs, les figures publiques portent des valeurs, parfois les mariages sont heureux, parfois ils ne le sont pas. Parfois, ils sont porteurs d’ambiguïtés. C’est le cas de celui-ci.

Raciste, enfin, parce que les propos sur les Noirs ou les Antillais incapables de faire preuve de grandeur d’âme, d’apprécier le succès des autres, de s’organiser, de s’entendre est une antienne raciste remontant à l’esclavage. Et comme au temps de l’esclavage, certains veulent faire preuve de supériorité en recrachant le discours des anciens maîtres. C’est minable.

Pour fin mot, défendre Admiral T, champion de la cause Noire, Antillaise, Caribéenne, de notre valeur, de notre exceptionnalisme, en rabaissant les gens même qu’il a toujours représenté (et à qui McDonald’s veut vendre son McGoulou) est d’une stupidité extraordinaire.

Car voilà, c’est un peu comme si Renaud avait lancé un McPinard “ la vinasse c’est pas dégueulasse chez McDonald”, Léo Ferré un McPollinaire “appréciez la poésie anarchiste avec McDonald”, Kenny Arkana un McBacon fait en Israël. Admiral T a toujours été un artiste grand public, mais aussi très engagé. Il incarne une proposition de valeur humaine et éthique.

McDonald ne correspond pas entièrement à son image.

Superbe coup pour McDonald’s, problématique symbolique d’un artiste engagé

Attention. Ce n’est pas une critique gratuite de McDonald’s. En dehors des critiques récurrentes sur les bas salaires dans les fast-food dans certains pays, McDonald’s est une entreprise orientée famille et grand public, qui globalement fait des efforts écologiques (c’est aussi très bon pour les coûts et les opérations de l’entreprise), qui est l’un des rares géants mondiaux à avoir eu un chef d’entreprise noir ( Don Thompson de 2012 à 2015 ), a des politiques d’emplois inclusives etc… En outre, plutôt qu’un mastodonte culturel américain qui écrase tout sur son passage, c’est une entreprise qui adapte constamment son offre, son image et ses produits aux pays où elle veut s’enraciner.

On le voit dans le cas de la scène de Pulp Fiction de Quentin Tarantino où Vincent Vega (John Travolta) raconte à Jules Winnfield (Samuel L. Jackson) les “petites différences” entre l’Europe et les Etats-Unis, : McDonald’s adapte le nom d’un de ses burgers iconiques (Quarter Pounder with Cheese) au système métrique (Royale Cheese), mais aussi McDonald’s pourvoyeur de bières dans ses restaurants européens ce qui serait culturellement tabou dans un restaurant familial aux Etats-Unis.

C’est pour ça que vous retrouvez des sauces curry, sucré-salé « Sichuan » dans votre McDo. Ou des menus originaux de McDonald’s dans tous les pays du monde.

Aux Antilles, l’opposition au fast-food n’est pas qu’une question d’anti-américanisme. C’est aussi une question de réappropriation des cuisines locales historiquement méprisées et dévaluées au détriment de celles venant d’ailleurs et notamment de la France. Le succès des fast-food américains se greffe donc au mal être de sociétés peu sûres de leurs socles culturels, ou le sentiment de dés-appropriation des choses qui sont nôtres est très fort.

Cette affaire du MacGoulou démontre à la fois cette plasticité et cette incertitude. L’Agoulou est clairement un burger. Un burger modifié : pain brioché, souvent fait artisanalement, toasté, sauce et garnitures locales. Mais c’est toujours un burger, ou un sandwich, choses pas particulièrement guadeloupéennes si on a une vision traditionaliste et pure des choses. Ce n’est pas si vieux non plus : l’Agoulou a été créé en 1989, par un jeune guadeloupéen revenu du Vénézuela et qui y avait découvert la culture de manger dehors dans une roulotte.

Mais quelque chose n’a pas besoin d’être vieux, ou 100% issue d’un pays pour qu’il soit perçue comme sien, comme culturellement sien. “Péyi a sé ta nou, Péyi a sé pa ta yo”, “C’est à nous, c’est pas à eux” disaient les grévistes de Guadeloupe et de Martinique en 2009. Défendre la production et la tradition culinaire locale est habituel pour un artiste engagé. Il y a des précédents nombreux. Dont un, de taille.

Et voilà notre porte-flambeau actuel de ce qui est “à nous”, qui donne symboliquement quelque chose de bien “à nous”, à “eux”.

Des difficultés d’être un artiste antillais majeur

Plutôt que de le placer sur la question du nègre contre nègre (#stupide), ce qui ressort de cette histoire c’est l’incroyable manque d’opportunités dont souffrent les artistes Antillais de talent.

Les scènes émergentes sont souvent ignorées par les médias locaux sinon pour des buzz bizarres, les relais naturels ne jouent pas parfois leur rôle (cf la critique de Trace par Kalash, et la réponse très inquiétante de Trace), et les médias nationaux… vous avez déjà vu Admiral T dans Taratata en tant que véritable invité ?

Le problème central d’un Admiral T c’est qu’au delà de son prestige et du consensus qu’il génère aux Antilles, c’est qu’il est un artiste d’envergure nationale mais qu’il n’est pas valorisé comme tel. On ne peut plus dire que le dancehall est une “musique du monde”. C’est LA musique qui influence le plus la pop depuis 2010. Pourtant là où des Ed Sheeran, des Bieber et des Drake imitant des accents caribéens sont joués à tout va, des artistes Français, mais vraiment caribéens, sont ignorés. C’est un vieux constat.

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Dans cet article de Libération qui dénote un problème de représentation des artistes antillais sur la scène nationale, la rubrique est paradoxalement titré « DOM-TOM » pour un concert se déroulant à Paris et parlant d’un problème français. Et Erik, qui vient de prendre sa retraite faute de revenus, y est décrit comme “belle gueule, voix d’ange et textes pas idiots” alors qu’il a dix Grand Corps Malade dans chaque petit orteil.

Pas promotionnés, placés dans des niches qui ne correspondent pas au goût du jour, ces artistes se retrouvent prisonniers de leurs origines parce qu’ils refusent de participer à la perpétuation des clichés sur les Antillais et les Antilles. C’est Joey Starr ou Arthur H qui trouvent des fonds et des relais pour déclamer du Césaire, pas Admiral T, pas Erik, pas Kalash.

Reste donc McDonald’s et le McGoulou.

Publié originellement le 22 Juin 2017.