fbpx
ABONNEZ-VOUS A 1 AN DE ZIST POUR 5 EUROS PAR MOIS
“J'ai rêvé de toi cette nuit :
Tu te pâmais en mille poses
Et roucoulais des tas de choses…
Et moi, comme on savoure un fruit,
Je te baisais à bouche pleine”


P. Verlaine

I
PROTOCOLES

J’ai tellement rêvé de son corps imberbe et long, du bout de ses mamelons – plus sombres en rêves. Je n’avais pas prévu cette petite surface de poils clairsemée qui courait sous son aisselle et que je m’étais contentée de caresser avec l’envie contenue d’enfouir mon nez avide de découvrir son odeur profonde. C’était comme une plongée dans ce rêve. J’étais une vague, et je pénétrais enfin cette falaise dont je n’avais le droit que d’épouser les contours sociaux. Enfin mon écume pouvait venir s’épancher, infiniment mousseuse, et s’infiltrer dans les plus minces petites brèches de la pierre.

Tu caresses cet endroit ? demanda t-il intrigué, goguenard presque, alors que je m’attardais sur les deux gouttes rosées de deux mamelons arrondis et charnus.
– Ce n’est pas une partie sensible chez toi ?
– Si…
– Alors, il faut la caresser. Pourquoi ça ne serait pas une source de plaisir? Et je me mis tantôt à les caresser, tantôt les lécher, doucement. C’est plutôt une zone que caressent les hommes, c’est ça ?
– Oui. Un geste d’homme en quelque sorte…
– Si c’est sensible, ça peut te faire du bien ? Il parut convaincu, ou au moins y réfléchir et se laissa faire.

Nous n’avions pas les mêmes codes préliminaires visiblement… Pas les mêmes procédures.

Il était grand et mince, peu de courbes, mais de belles jambes galbées. Elles m’avaient tout de suite plu, ces jambes de footballeur. Sa bouche s’épanouissait délicatement, parfaite, sur son visage: une petite chose pulpeuse et rose, renfermant le nacre de petites dents parfaitement rangées. Un joli regard sombre, relevé par le brun intense – que dis-je, le noir !- de ses cheveux. Avant de le retrouver pour ce rendez-vous, en transit entre le passé et l’avenir, dans ma voiture, j’avais senti en moi cette sensation que je n’avais pas eue depuis longtemps: celle d’être une substance volatile, l’ivresse de l’idée même de passer du temps avec lui m’élevant hors de moi-même. Un tumulte d’ailes folâtraient dans mon ventre, agitation douce et inconfortable à la fois.

En rentrant chez moi, après cette surprenante soirée, je m’étais sentie comblée, tout simplement. Et j’avais ri. Toute seule dans ma voiture. A gros éclats, comme prise de folie. Ca me changeait des rituelles séances de retour au bercail en sanglots. Cette période était sombre, pleine d’incertitudes: un long divorce, des enfants au milieu et pour la première fois de ma vie, la question de ma subsistance qui revenait tournoyer dans ma tête à chaque instant de solitude. Nourrir mes enfants, puis me nourrir… oui pour la première fois ces questions se posaient à moi. J’avais donc été une privilégiée toute ma vie…

Et dans cette nouvelle ère, l’électron libre que j’avais toujours été, se prenait à pleurer de manière incompréhensible, chaque fois que cette maudite bulle à moteur la conduisait des autres vers une solitude désolée. Je me sentais ridicule à la fin ! J’étais bien contente de déposer mes deux marmots à la crèche, mais dès que je pouvais enfin souffler, je me retrouvais là sur le parking, à pleurer comme une idiote. Sans raison. Juste par peur du vide. Désoeuvrée aussi. Je croulais sous les démarches administratives, tâches ménagères et obligations au travail, mais dès que les enfants avaient disparu de mon champ de vision, ma tête devenait un genre de bol vide où flottait une angoisse blanche, qui ne disait pas son nom. Je n’étais désormais capable que de supporter l’insupportable agitation de mes différents espaces de vie les enfants, le travail, et les fêtes avec les amis quand les enfants voyaient leur père.

“Idas y vueltas 
Cruce de camino
Donde te buscas,
donde te pierdes,
donde te encuentras”
Maïté Hontélé

Enfin donc, cet homme, que dès la première fois j’avais couvé des yeux le ventre plein de concupiscence, et qu’ensuite je m’étais interdit d’approcher – bad timing – s’était montré disponible, et intéressé… Entre temps, je m’étais mise à penser, pour la première fois de ma vie, qu’à défaut de vivre quoi que ce soit avec lui, j’avais le droit de m’imaginer obtenir l’objet de mon désir. Alors, lorsque ma vie me laissait une petite pause, suspendue dans le temps, je mettais mon casque sur mes oreilles, m’enfermais dans le noir, sous la couette, et j’écoutais en boucle “Idas y vueltas”. Se déroulaient toutes sortes d’images, et de lieux que j’avais soigneusement pris le temps de collecter dans l’optique de la fabrication de ce souvenir. Bref, je m’accordais enfin mon premier fantasme… à trente ans passés.

-Action ou vérité ?
– Vérité ! Vous êtes trop dingues pour que je fasse quoi que ce soit!
– Ok !… C’est quoi ton fantasme ?
– … tu veux dire quelque chose dont je rêve ? Oui mais genre, pas ce que tu veux être plus tard.
– Tu sais de quoi on te parle, avait précisé une voix féminine. Leurs regards avides, voulaient du sexe. Un bon petit scénario érotique afin de tirer des conclusions sur chacun d’entre nous, sous prétexte de jouer.
– Ben… c’est compliqué… je n’en ai pas. C’est impossible ! Tu triches, m’avait dit alors le premier inquisiteur.
– Non mais, juste que ça ne sert à rien… et puis je me contente très bien de la réalité en fait. Plus on rêve et moins on aime la vie telle quelle.

Puis devant les regards dubitatifs de mon cercle de potes de première année, j’avais fait un effort:

– Bon ok, je rêve de faire l’amour sur la plage, à même le sable, sans que ça ne rentre partout où ça pique.
Redoublement de regards interloqués…
– Mais avec une fille ou ? Quelqu’un que l’on connaît ? Deux mecs ? » se hasarda l’un d’entre eux, dans une ultime et désespérée tentative de se glisser impunément une image sympa en tête.
– Avec mon copain quand y’en aura un, ça serait très bien déjà.

II
FAIRE L’AMOUR AVEC SOI

A quel âge peut-on bien s’interdire de rêver ? Et surtout de fantasmer autour de tout ce qui touche à la sexualité ? Tous les enfants ont une sexualité. Tous les enfants se touchent. Et cela me semble normal dans un certain cadre, parce qu’ils découvrent le monde, puis prennent conscience de leur corps. Lorsqu’elle avait découvert son entrejambe, ma fille, à l’âge où l’on commence à mettre des mots sur le monde, avait pris pour habitude de se précipiter nue hors de la salle de bain après chaque douche, et se lancer dans une parade joyeuse dans le salon afin qu’on la regarde. Elle tournait ainsi, s’arrêtant de temps à autre pour marquer une pause par un petit saut, les jambes écartées et légèrement fléchies, et s’écriait: “zezette !”. Puis elle reprenait sa procession au cours de laquelle elle faisait ces quelques arrêts assortis du susdit slogan, jusqu’à ce qu’une main ferme l’emporte dans la chambre, pour amorcer la lutte quotidienne de désensauvagement de ce petit concentré d’instinct.

Civilisation.

Je suis donc bien civilisée. Moi qui me suis toujours crue une fille libérée, j’ai laissé la morale s’insinuer jusque dans ce que j’ai de plus intime, de plus moi: mon rapport instinctif, sauvage, à mon propre corps. C’est une chose de coucher avec qui on veut en dépit des interdits, et protocoles prévus pour soi.

1- Tu ne coucheras point avant l’âge prévu par ceux qui n’ont rien d’autre à faire que de débattre sur ce que tu fais de ton cul.
2- Tu ne coucheras point avec plusieurs hommes avant de trouver le BON. Le maximum autorisé s’élevant à trois partenaires- et encore, on peut craindre une salopification en germe.
3- Tu écarteras les jambes, et feras tout ce que l’on te dit dans la retenue, sauf si l’on t’invite à en faire autrement. Sans quoi, tu verseras dans la chaudasserie.
4- Tu ne coucheras point avec l’un des nombreux potes de ton ex, qui connaît la terre entière, même un an, ou six mois après la rupture, tu lui appartiendras toute ta vie.
5- Tu ne coucheras point sans concevoir de l’amour pour ton partenaire, car dissocier désir physique et sentiments est l’apanage de l’homme.
6- Tu feras l’amour proprement, et dans le respect du bon sens en matière d’esthétisme.
7- Etc.

C’en est une autre, de faire l’amour avec soi dans un respect strict de ces préceptes moraux que l’on croit paradoxalement fouler aux pieds. Mais vraiment, le summum de l’aliénation sociale. Où tout cela nous mène t-il ? A avoir honte d’accomplir cet acte d’amour de soi et de son propre corps, au point de croire que l’on n’aime pas ça, et que tout ce qui s’apparente à de la masturbation, même en présence de l’autre, donc, soit vécu avec beaucoup de réticence – le fait d’être stimulée clitoridiennement et vaginalement au doigt ou à la langue, par exemple. Aux balbutiements de ma sexualité, l’idée même qu’une personne se penche en détail sur mon sexe, et finalement sur mon plaisir m’horripilait. Trop peur du regard de l’autre, trop peur du grotesque de cette vision de deux orifices que je me passais bien de regarder… et de toucher ! Même le mot MASTURBATION est gênant encore aujourd’hui pour moi. Cela fait penser à une perturbation écrasante, surplombante. Une sorte d’occupation violente, démente. Il est long, laid et fastidieux à prononcer.

Et qu’est-ce donc que faire l’amour avec quelqu’un quand on ne sait pas le faire seul ? Quelle part prend on à la mise en place des rituels amoureux quand on n’a pas ses habitudes dans la fréquentation de son propre corps ? Ce qu’on a à offrir est incomplet, n’est pas là, à proprement parler, dans le lit – ou ailleurs. On peut être soi à moitié toute sa vie en ne s’acceptant pas, et en espérant que l’autre passera au dessus de ces choses qui nous gênent, que l’on refuse de voir. Pour commencer, l’image de son propre sexe.

III
LE BEAU, LE BIEN ET LE BON

C’est moche une bite. Mais vraiment. Quelle aberration! Comment une chose aussi laide peut-elle procurer autant de plaisir ? Ça ne sent même pas bon. Et quand à ce qui en sort, beeeeeerrrrrk! C’est laid et à la fois pitoyable un homme nu qui tient sa bite. Cela peut être très disgracieux à voir, deux personnes qui baisent. Bas. Vil. Bestial…

Et puis, tu fermes les yeux. Tu éteins les radars des canons et standards, des principes de l’esthétique, du beau, et du bien. Tu rentres en toi même, et tu allumes tes sens un à un.

Tu goûtes à l’odeur et à la saveur de ton partenaire en te disant qu’elles sont uniques, qu’il n’y en a pas deux pareilles sur terre, puis au plaisir du contact de sa peau, sa température, ses accessoires – cheveux crépus, bouclettes moutonnantes, ou cheveux, voire crâne lisses, à poils ou sans poils, à plumes, becs, ongles ou écailles – LOL ! -… Tu entends sa voix qui te parle, ou son souffle qui roule dans ton cou, ton dos ou tes seins pour finir dans tes oreilles. Là tu peux ouvrir les yeux. Tout est une question de point de vue. A chacun de trouver le meilleur angle pour envisager l’autre. Alors, tu peux faire la paix avec l’homme, et avec son corps, tu peux l’accepter, l’aimer une fois que tu t’es défaite de l’intolérance des préceptes du beau et du bien. Demeure néanmoins celle, toute relative, du propre…

Oui mais, quand on n’aime pas manger de la chatte, à quel moment fait-on la paix avec sa propre compagne de plaisir ? Pour avoir du plaisir sexuellement on peut réussir à envisager les vilaines bites comme des outils formidables, et à concevoir de l’excitation, mais le chemin vers son propre sexe est plus complexe. Ben oui… contrairement aux hommes, on ne voit pas grand chose de son sexe quand on est une femme. Et on ne nous encourage pas des masses à aller voir.

Il est plus facile, naïvement, et avec un soupçon de présomption – de le penser plus beau que la chose brinquebalante de la gent masculine. Mais seulement quand il est fermé, et propre à souhait. Caché… hors-scène.

Vaste question : où commence et s’arrête la notion de propreté corporelle ? Là encore, tout le monde n’est pas d’accord. Et surtout à quel moment cette notion devient nuisible, destructrice ? Cela me semble être une question de santé plutôt d’actualité – lorsque l’on voit tous les produits chimiques dans les protections dites hygiéniques, et le scandale du fameux “sang bleu” des publicités, comme si la réalité ne devait surtout pas exposer sa malséance. Que dire donc de la façon d’envisager son propre corps lorsqu’on a honte d’un phénomène naturel se produisant toutes les quatre semaines dans la vie d’une femme ?

Ainsi, on tente de rendre notre sexe conforme à des principes sortis d’on ne sait-où, rapportés depuis des millénaires, sans doute, lors de discussions sur un ton confidentiel de ce qui serait obscène: ce corps encore et toujours, cette chose. On espère toujours désespérément se défaire de cette odeur de moule, ou d’algue desséchée de bord de plage, de toute trace de bestialité.

– La première fois que je t’ai léchée, j’ai eu le goût de ta chatte pendant deux jours dans la bouche.

J’eus envie de creuser un trou et de m’y jeter lorsqu’il me fit cette confidence. Cette incapacité à assumer mes odeurs corporelles se creusa un chemin un peu plus profond dans mes veines. J’avais toujours été une personne qui transpirait beaucoup. En été comme en hiver, je suais. Entre mes seins, entre mes cuisses, dans la pliure des avant-bras, des genoux, des pieds, des mains…je mettais des couleurs et tissus qui ne laissaient pas apparaître les auréoles de sueurs que je me traînais sans arrêt sous mes arrosoirs d’aisselles. Je repensai à ce copain de classe à qui j’avais demandé avant de monter sur l’estrade du spectacle de fin d’année au lycée, si je ne sentais pas trop mauvais, et qui m’avait répondu : « Bof, tu as ta petite odeur aigre de chabine… ». Et vlan ! Un enfermement de plus dans un type, une odeur, un cadre…pwel si par ci…

Mais alors je levai les yeux sur mon partenaire sexuel et je constatai que suite à cette confidence gustative, il avait levé les yeux au ciel, l’air pensif, un petit sourire béat sur les lèvres. Il était heureux car bienveillant vis-à-vis de ce que j’étais de manière globale. Je n’étais pas juste un sexe qu’il avait goûté en espérant y trouver une saveur particulière, mais ma saveur à moi, unique lui avait plu parce que c’était la mienne. Tout simplement.

« Show me something natural/
like asses with some strechmarks »
Kendrick Lamar

Tout se désodorise, se maquille, s’habille maintenant. Nous refusons notre nature. On veut être une F-E-M-M-E. Belle, digne, respectable et à la fois, attirante, sulfureuse lorsque c’est adéquat… avoir une bonne chatte. Alors on apprend qu’il y a aussi des dimensions pour les femmes, des critères d’une imprécision à rendre folle… ni trop grandes, ni trop petites, ni trop sèches, ni trop mouillées, ni trop poilues, ni pas assez, clitoris et lèvres bien fermes et rentrés, pas pendants s’il vous plaît, de la bonne couleur aussi, pas trop de noir, un peu de rouge ou de rose car ça attire l’oeil…le truc… impossible.

Oui mais…

Oui mais…

Oui mais… quand pour la première fois tu écartes les lèvres et que tu inspectes au miroir ton imparfaite vulve – comment pourrait-elle l’être, puisqu’elle est unique, non-conforme, non-certifiée, inexorablement hors de toutes les lois ?- tu as peur de cet espace qui ne ressemble à aucun autre de ton propre corps. Pire encore, tu as peur de cette chose qui ne ressemble à rien d’autre… ou éventuellement qu’à des choses incongrues (mollusques, animaux marins…). Qu’est-ce que c’est que ça ?! HORREUR !

Je vous laisse imaginer ensuite quand un voire deux enfants sont passés par une si petite chose… mirifique !

– Carla se met des doigts dans les toilettes des filles ! cria une fille dans la cour de récréation envahie par la nuée d’élèves de sixième qui couraient et hurlaient dans tous les sens, quasiment livrés à eux-mêmes et à leur bonne éducation, tandis que les parents allaient de salle en salle rencontrer leurs professeurs.
– Quoi ?
– Elle se met des doigts, je te dis, elle fait ça tout le temps !
– Mais des doigts où ça ? demanda la jeune fille interloquée par cette idée.
– Ben dans la chatte!
– Ah!… fit-elle dans l’espoir de brouiller les traces de son ignorance, ne trouvant aucun mot en adéquation avec la situation.

Elle avait alors attendu un moment de solitude pour faire l’essai toute seule, mais la sensation digitale l’avait tellement désagréablement surprise – cette laine de chair, fragile, molle et visqueuse à la fois – qu’elle s’était juré de ne plus jamais recommencer. Ça n’avait aucun intérêt. Mais vraiment aucun, ça salissait les mains en plus de donner l’impression que son intérieur allait s’arracher. Peur.

IV
LA FABRIQUE DES RÊVES

J’en étais donc là. Parce que – misère sexuelle oblige, précédée d’années fastes de vie en couple – je m’étais remise à me toucher faute de mieux. Dès lors, je souhaitais accepter mon corps et le rendre acceptable à l’autre, m’aimer et ainsi me rendre aimable, de manière totale. Aussi, je me posais beaucoup de questions sur mon corps.

Qu’est-ce qu’il aimait vraiment ce corps ? Et j’avais donc compris que ma volonté de rester réaliste coute que coute afin de n’être pas déçue par la vie, mais de me montrer courageuse, forte et efficace dans mes projets avait été, en fait, un énorme frein à ma créativité et à mon épanouissement. Être efficace, pragmatique et dans le refus de toute idéalisation, rend peu exigeant vis-à-vis de la vie. De là découle l’interdiction de fantasmer, puis celle de se toucher et enfin de se connaître profondément par le biais primitif des sens, premier mode de connaissance, d’appréhension et appropriation du monde. Vision bien catho, pour quelqu’un qui croyait s’être rebellé contre les vieilles chèvres bigleuses qu’étaient les hystériques catéchistes en charge de me guider vers Dieu. L’éducation à la peau dure. Mais donc vision qui nous tourne vers le labeur, et la notion de réussite, plutôt que vers le plaisir.

Les hommes de mon âge m’avaient semblé en être au même point. Tous perdus, et dans la recherche effrénée de la réponse à cette question: qu’est-ce qui te fait vibrer ? Alors, pour se délivrer du sceau maléfique et oppressant de l’éducation, ils faisaient comme moi, ils régressaient, et redevenaient des corps. Nous étions en somme, nous adultes trentenaires, jeunes parents, des enfants abîmés et désabusés. Viciés.

Corps bodybuildés, corps marathoniens, corps chantants sur scène, corps à la recherche de sensations fortes se jetant de falaises ou d’avions, corps jouisseurs de femmes, d’alcool, de bouffe ou de drogues. Tous éperdument à la recherche de cet âge amoral de l’enfance, où l’on pouvait juste être, et jouir. Être et jouir de toutes petites choses, mais quand même, être et jouir. Comme un bébé, un beau gros sein débordant de lait enfoui dans la bouche.

“I want you,
I want you so bad,
I want you,
I want so bad,
it’s driving me mad,
it’s driving me mad.”
The Beatles

J’étais entrée dans la fabrique des rêves à partir du moment où j’avais dû me poser la question: “Tu le veux cet homme-là, mais pour quoi faire ?” Alors, portant les fardeaux de ma vie et de mes choix personnels, portant mes responsabilités sur mon dos, seule, sans compagnon de route privilégié, intime, j’eus cette révélation que mes rêves et mon corps m’appartenaient et que j’étais la seule à pouvoir faire entrer le regard des autres par le biais de la sacro-sainte morale dans ma vie intime. Que je jouais à un jeu débile depuis la sortie de l’enfance. J’étais la seule à avoir dessiné des contours étroits au champ des possibles. Je m’étais moi-même mise dans cette vie passive, toute chrétienne, en attente d’une autre.

Le souvenir que j’avais fabriqué était bien évidemment irréalisable tel quel. Mais il était une collection de petites choses que j’avais vues de lui, et de lieux et situations que j’aimais. Et donc, petit à petit, la vision que j’avais créée m’avait conduite à guider cette relation qui avait pris forme dans la réalité, vers ce que j’aimais, à oser être moi même et me poser la question de ce que je voulais. Chaque fois que je fixais mes désirs sur papiers, ils se réalisaient dans le mois. Je me sentais comme Kira dans Death note. Sauf que je ne tuais personne.

Alors voilà, je pris la décision d’être. Sans limites. D’accepter le corps en moi, cet aspect qui dans l’esprit occidental renvoie à l’animal, au clownesque, au grotesque. Je ne suis et ne souhaite être une héroïne de tragédie classique, faite de paroles performatives et uniquement de cela: mots, affectation, dignité, honneur, pâmoison, grâce. On sait tous comment ça finit. Mon fatum à moi, est plus proche de celui d’une comédie. Les gens s’aiment et rient à la fin. Mais surtout ils agissent. Je veux bien renoncer à l’approbation sociale, tant que je suis en harmonie avec ce que je suis, et je ne le serai jamais tant que je n’accepte pas mon corps, mes sens, mes désirs et mes rêves. Mon corps n’a pas à être discipliné, c’est à moi de comprendre la discipline de mon corps, comment optimiser ce que je n’ai pas choisi, afin d’en jouir. La jouissance est la porte vers le bonheur.

En croyant ôter le Mal d’une âme, bien souvent on l’y introduit. Parfois, j’écoute les cérémonies d’exorcisme de la petite Eglise évangélique aux locaux mitoyens à ma chambre. C’est drôle comme on a tous besoin de quelque chose pour vibrer. De mon point de vue sonore, ces réunions nocturnes ont tout d’un acte sexuel métaphorique et collectif. J’y perçois plus d’excitation et de volupté que je ne ressens d’esprits malins. Introduire le Mal, en prétendant l’extraire. Le principe de toute morale.

– Ne va pas là ! Dit-on aux enfants, à qui on dévoile un champ d’exploration beaucoup plus intéressant que tout ce qu’ils envisagent.
– Et surtout, ne mange pas le fruit de cet arbre là…hein…

Alors jouissez, bordel ! Mais dans le respect de votre nature.

Toni Bell