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Chronique de Ralé Ralé, dir. Pierre Gurgand

Ralé Ralé est un film documentaire réalisé en 1974, tourné dans le Nord-Caraïbe de la Martinique, principalement au Carbet et à Saint-Pierre. Une archive recouvrée récemment par Tropiques Atrium – Scène Nationale, il a été un des premiers films produits et réalisé en Martinique sur commande d’une institution locale: l’ex-Centre Martiniquais d’Action Culturelle (CMAC), l’institution culturelle martiniquaise ancêtre de Tropiques Atrium. 

Mais s’il n’avait que cette valeur archivale, je ne suis pas sûr que je vous en parlerais. Ralé Ralé est une capsule qui remonte le temps. Cinquante ans à peine, il n’y a pas si longtemps, mais on a l’impression d’avoir affaire à une toute autre Martinique. Les années 1970 sont des années charnières aux Antilles, celles où des sociétés rurales, à l’économie agricole, deviennent des sociétés de consommation. C’est aussi un moment où être originaire d’une commune signifie quelque chose. Il existe une véritable attache intergénérationnelle au lieu où on a grandi.

Ralé Ralé porte le nom d’une chanson originale d’Eugène Mona, qu’il a composé à propos de la pêche à la senne, et plus précisément ce moment où, outre les pêcheurs, tous les gens présents sur la plage viennent la tirer vers le sol. J’en parle longuement ici. Mona vient de commencer ce qu’il appelle son orchestre de tambours, l’Ensemble Eugène Mona, dont la musique illustre tout ce documentaire. Un choix fort, déjà, car la musique de Mona n’est ni doudouiste, ni folklorique, ni vraiment traditionnelle.

Ralé Ralé comporte trois portraits. Le premier : un pêcheur dans la force de l’âge, filmé sur la plage du Carbet. Il irradie la confiance en lui et la compétence : il réalise son interview tout en réparant une senne. Il parle chiffre d’affaires, compare les années et les revenus. Il confirme bien ce trait propre à la sous-culture des pêcheurs de Martinique : plus individualistes, fiers, entrepreneuriaux, cela malgré des conditions de vie loin d’être évidentes, comme on le devine lorsque la caméra se glisse dans le village au bord de mer. Malgré tout cela, son témoignage constitue la thèse centrale du film : il explique longuement l’importance de tirer la senne dans la vie de cette mini-société.

Deuxième portrait : deux survivants de l’éruption volcanique de 1902 à Saint-Pierre, probablement déjà parmi les derniers. Ils racontent leurs souvenirs d’enfance: l’éruption et ses lendemains; la fuite du Nord vers le Sud, les communes avoisinantes refusant les réfugiés; l’accueil à Fort-de-France par le maire Victor Sévère. J’étais bouche-bée pendant leurs deux témoignages, jamais un événement qui m’avait toujours paru si lointain, ne m’avait paru aussi vivant. 
Le film opère alors une transition sur le boom touristique et l’image qui est vendue de la Martinique. On voit un chanteur franchouillard chanter des chansons d’amour sur un pédalo. On suit des cars de touristes. Puis on tombe sur cette jeune fille qui fait des photos avec les touristes à côté du musée Frank A. Perret de Saint-Pierre. Déguisée en matador (coiffe, madras, collier-chou) elle représente cette image de carte postale rêvée de la Martinique. Elle raconte aussi que parfois elle se fait maltraiter par ces touristes nord-américains. Le réalisateur décide de passer les dernières minutes du film à la mettre en valeur et montrer sa journée.

Le film finit sur ce clash des images : les touristes bien achalandés face aux pauvres qui tirent la senne.

Il n’y a pas de commentaires dans Ralé Ralé. Pas d’explications. Ce n’est que mon interprétation. D’autres y verront probablement autre chose.