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Rosan Girard, Chronique d’une vie politique en Guadeloupe de Jean-Pierre Sainton

Ici, des noms habitent à voix basse… des écoles, des bâtisses administratives, des stades… Et de ceux-ci, résonnent des histoires qu’on devine, approximativement glorieuses, mais dont la puissance est spectrale. 

Des biographies timides sur Wikipédia me proposent, de temps à autre, une explication sous la forme d’un jeu dont il faut deviner les trous. Quelques bibliographies existent, mais s’attèlent à prendre des allures mystérieuses, aux titres occasionnellement pompeux, tantôt élitistes, tantôt inaccessibles. Certains réalisent des conférences ou évènements qui m’échappent, à mon plus grand regret, parce que les méthodes de communication sont encore des champs à explorer sous nos alizées. Et puis d’autres fois, souvent, je suis seule fautive de mon ignorance en lien avec, reconnaissons-le, une fainéantise, une langueur, ou tout simplement l’envie de contempler l’effet du vent sur les branches du pied de fruit-à-pain. 

Qui sont ces hommes – oui, hommes, parce que les femmes selon le dogme n’ont rien réalisé de glorieux (n’est-ce-pas ?) – qui attirent fugitivement mon regard ? 

En parallèle de ce questionnement, une histoire politique s’esquisse devant moi, à la radio, à travers des campagnes criardes et des débats télévisés folkloriques que j’endure avec peine, ou pas. Une histoire qui va même jusqu’à m’écœurer, lorsque je réalise le score du FN – RN pour les avertis – plus qu’indécent, démontrant une aliénation politique et une méconnaissance de notre histoire contemporaine.

Je pourrais m’amuser à citer l’éventail des facteurs assourdissants expliquant cette ruine mémorielle. Mais je ne suis pas spécialiste et ce n’est pas le sujet de cette chronique.

Au hasard d’un événement poétique, je trébuche sur un livre de Jean-Pierre SAINTON : « Rosan Girard Chronique d’une vie politique en Guadeloupe », édition revue et augmentée chez Atlantiques Déchaînés, dont le résumé issu de la quatrième page de couverture, commence avec cette phrase qui m’affecte : « Rosan Girard (1913 – 2001) est certainement le leader politique guadeloupéen le plus considérable de la deuxième moitié du XXe siècle. ». Cette citation est marquante parce qu’elle heurte mon égo, dans la mesure où je ne le connaissais absolument pas. Comment est-ce possible ? 

Rosan Girard (1913 – 2001) est certainement le leader politique guadeloupéen le plus considérable de la deuxième moitié du XXe siècle.

Rosan Girard, Jean-Pierre Sainton

Alors, je ne me leurre pas sur l’état de mes connaissances, cependant, au vu des termes employés, cela semble assez catastrophique. Pour l’anecdote, ce fut un moment d’autant plus dramatique pour mon égo, puisqu’il y avait évidemment la présence d’une amie d’hexagone à mes côtés, attendant des explications de ma part sur ce cher bonhomme extraordinaire, et creusant de ce fait la tombe de mon inculture. 

Ainsi, je l’achète et, soyons honnête, l’esthétique du livre participe grandement à ma motivation, à la faveur de cette illustration tendre, de Sarah Nyangué, l’ancrant dans une dynamique moderne. Le livre est fichtrement beau. 

Cependant, à un moment, il faut bien le lire, ce pavé. En dépit de cette esthétique alléchante, le stéréotype de l’œuvre aride, pleine de dates, et un peu poussiéreuse en termes d’écriture, génère quelques résistances en moi, et ce, même si j’avais déjà lu un livre de l’auteur. Mais cette fois-ci, cela semble être une biographie… 

Grâce à un état d’ennui, je l’ouvre ce bouquin et soudainement, je suis simplement submergée par la force de ce texte. J’envoie des messages audios et pavés à mes proches, pour les harceler d’informations sur Le Livre. Je parle de Rosan Girard en plein rendez-vous romantique. J’élabore des théories sur Mr. Sainton à la pause déjeuner… bref… je suis totalement addict. 

A la lecture, un frisson me saisit. Ici, une forme d’émotion politique se complexifie en moi. Je dirais même qu’une pointe d’arrogance s’empare subtilement de mon corps… je sais, grâce à ce livre, des informations que d’autres n’ont pas connaissance. Il me permet de lutter contre la lassitude des événements politiques que je vis. 

« Rosan Girard, Chronique d’une vie politique en Guadeloupe » narre la vie de ce leader politique de l’histoire contemporaine de la Guadeloupe. 

Rosan Girard fut à plusieurs reprises le maire du Moule, ainsi qu’un député, un leader communiste et un pionnier des luttes anti-coloniales et indépendantistes. Il a été à la fois acteur et témoin de l’évolution politique guadeloupéenne depuis les années 40, jusqu’à son décès, en 2001. Il a laissé des traces de sa pensée, non seulement à travers ses actions politiques, mais aussi de par ses livres. 

De prime abord, une biographie politique peut apparaître comme modestement affriolante pour les non habitués : encore l’histoire d’un grand homme ! Je comprends tous ceux qui sont lassés de lire l’histoire des ces grands hommes, dessinant la grande histoire politique guadeloupéenne, qui raconte des grands hommes, et encore des grands hommes, et toujours des grands hommes…. Cependant, ici c’est bien plus que ça.  

Des facettes multiples du personnage nous sont présentées. 

Rosan Girard est cet homme capable de se travestir en femme, pour échapper aux foudres d’un gouverneur en proie à la colère. 

C’est aussi ce médecin sage, qui a une facilité à analyser le monde qui l’entoure, et la complexité des maux de ses patients. 

C’est ce grand politicien, qui mange politique, qui boit politique et qui danse politique. 

C’est ce communiste qui s’affirme et qui développe sa pensée au fil de son évolution personnelle. 

C’est ce rigoriste sévère, et droit dans ses bottes, tout en étant un rebelle. 

Et puis, c’est un grand rêveur. 

Ses différentes facettes coexistent dans le livre, à la faveur d’un équilibre, papillonnant entre des passages développant son quotidien privé et un ancrage plus historique.

Les descriptions du quotidien de cet homme dressent un portrait attendrissant et mélancolique de la Guadeloupe. Je me sens errer de commune en commune. Au Moule, dans son fief, où milles histoires nous sont narrées, je découvre des paysages baudelairiens, des personnages intrépides, des communautés aux traditions fortes, aux grandes mœurs. Et puis, j’y entends aussi la ville de Pointe-à-Pitre. Ville chaude et désarmante. Ville ou l’activité ne cesse jamais. Ville de tous les désirs. 

La Guadeloupe est un personnage en elle-même. 

Je parcours l’avant seconde guerre mondiale, la Guadeloupe an tan Sorin, la départementalisation, les bouleversements socio-économiques après-guerre, l’évolution du parti communiste, le cheminement des mouvements politiques anticoloniaux et indépendantistes, et bien d’autres.

Cela fait beaucoup pour un livre. 

Chaque événement n’est pas vu dans sa globalité mais plutôt par le prisme de Rosan Girard. La lectrice est surprise par la facilité avec laquelle elle se plonge dans l’épopée Girardienne, et ce, grâce à une balance juste entre l’esquisse historique et émotionnelle.

Pour éviter l’appesantissement, Jean-Pierre Sainton mène avec perfection l’exercice littéraire qu’est la biographie. 

Des passerelles sont créées par l’auteur, qui joue avec une mise en scène polyphonique permettant de l’ordre aux chaos. C’est ainsi, que je saute habilement entre les logiques narratives, réalisés par lui. Je passe de l’entretien, à l’extrait de lettre, je lis des journaux, et soudainement, je replonge dans le plaisir de la fiction. Il me donne accès non pas à de la vérité pure, mais à des indices, des signes, des vestiges qui m’invitent à comprendre Rosan Girard et à démystifier l’histoire politique guadeloupéenne. 

La plume de Jean-Pierre Sainton a le goût de la prune cythère. Lucide, vive et acide. Elle est portée par son amour profond pour ce leader, tout autant que sa capacité à faire preuve de recul et de critique sur cet homme haut en couleur.

J’ai échappé avec cette biographie à la torpeur. Elle a éclairé le contexte actuel guadeloupéen et m’a exfiltré des pensées chimériques qui m’habitaient.

Sans oublier, que cette lecture a été un véritable plaisir. 

Lisez-le.

Jean-Pierre SAINTON, ROSAN GIRARD Chronique d’une vie politique en Guadeloupe, Atlantiques Déchainés, 2021 (édition revue et augmentée), 484 pages. Disponible en librairie ou en commande sur ce site