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Poème de l’île bleue I

J’ai rencontré un fabricant de colliers
Qui habite une cahute près de la plage.
Mutique ou bavard, dense et philosophe comme le lendemain d’une averse de pluie,
Pétri de sable et de sueur
À l’ombre d’un argousier et mille graines de tous arbres, qui sont sources de son orgueil de sans-abri.
“Toute l’île est en lui”
Disent les voisins du bourg
Qui l’appellent “le chabin”.
Quand il ne fabrique ou ne vend pas, il se promène avec ti’man, un chien sombre et calme
Attaché à la vie de son maître,
Une longue chaîne les ligote l’un à l’autre,
L’un comme l’autre,
Deux cocotiers solitaires qui s’activent en quête d’un nouvel horizon.
Toute l’île est en lui,
Sans âge,
Plein d’innocence infantile et de gravité mélangées,
Un corps d’artisan grand et sec musclé par l’indépendance.
Dans ses yeux gît le poids d’une mélancolie séculaire.
Il couture et dentelle les fils de graines de tamarin, de gommier rouge, s’armant de patience
Et traque les bouts de bois flotté sur toute la longueur de la côte pour en faire des trophées,
Qu’il accroche à la devanture d’un entremêlement de branches crochues savamment orchestrées ;
Elles font office d’auvent
Pour ses objets d’art de bois et de graines multicolores.
Toute l’île est en lui,
Grande Silhouette reconnaissable entre toutes,
Dans sa peau presque noire,
Dans sa haute stature usée,
Dans ses paroles d’enfant-adulte acculé au monde hostile.
Non loin du bar-terrasse, les serveurs le saluent,
Quand ils voient l’homme squelettique, son chapeau tressé et sa haute stature et le sombre regard ;
Car ils l’apprécient.
Parfois, à la santé des égarés qui jonchent le monde hostile, nous buvons un café et mangeons une glace dans ce bar
Le monde, représenté par ses voisins proches reconnaît son talent, mais le laisse à l’abandon sous l’arbre exsangue
Auxquels accostent les touristes fébriles.
Un cocotier au tronc puissant mais mal enraciné,
Fort et fragile,
Les clients frétillent autour de lui, comme un banc de poissons pour acheter de belles choses et de belles parures.
Pour eux, il y a toujours une calebasse habilement sculptée à acheter.
Ils repartent les mains pleines d’or végétal dont ils ignorent le pouvoir secret.
Alors le fabricant aux doigts d’orfèvre
Et aux yeux rougis par la soif et les jours de canicule
S’exécute.
Lentement, sûrement,
Il fait et défait les coquillages
En abjurant le pouvoir de l’argent et la cupidité de certains.
Sous le soleil qui frappe durement les artistes fous,
Ses mains tressent des trésors,
Car toute l’île est en lui, depuis qu’il a pris la fuite,
Qu’il a quitté la forêt pour la plage, qu’il a rejoint, certains diront,
Les rivages dangereux de la folie,
Et un vieux débarras de planches, de tôles, couvert de poils de chien,
Par un matin d’orage qui le malmène,
Par les lendemains de tempête.
Faut-il garder rancune des sortilèges de brume ?
Faut-il cacher les bracelets du pardon et de l’amitié dont les perles antiques s’éparpillent sur le sable ?
Et qui repartent dans le lointain, dans le sel et le vent ?
On dit que là où ils reviennent, un jour, s’illuminera le doux murmure des paisibles océans.


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