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Le cannabis : quel impact sur nos adolescents et leur scolarité ?

Le cannabis est connu pour ses propriétés euphorisantes, désinhibantes et relaxantes, mais aussi pour l’impact sur la mémoire qu’il est supposé avoir sur les capacités cognitives des individus qui la consomment. A l’heure actuelle, la discussion autour de cette drogue est assez contrastée : en effet, le débat oscille entre ceux qui assurent que le cannabis est nocif pour la santé des consommateurs et qu’il a une incidence négative sur la vie de ces derniers et, d’autres qui affirment que cette substance n’a pas de conséquence grave sur la vie des consommateurs. Qu’en est-il réellement ? 

Un récent rapport de l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies (OFDT, 2019) estimait que, bien qu’il soit par définition impossible de faire une évaluation juste d’un marché illégal, la France compte au moins 4,6 millions de consommateurs de cannabis à l’année, dont 1,4 million de réguliers (au moins 10 fois par mois) et 700 000 utilisateurs quotidiens (au moins une fois par jour). Certains observateurs considèrent que le montant de la consommation illégale de cannabis en France constitue un marché qui dépasse le milliard et demi d’euros annuel et que, selon certains d’entre eux, ce chiffre se rapprocherait plutôt des 3.240.000.000 €. Il s’agit ici d’un vrai phénomène massif qui a un impact social fort. 

Les experts de l’OFDT estimaient encore il y a une vingtaine d’années que le taux de consommation de cannabis était beaucoup plus élevé sur le territoire métropolitain par rapport à celui détecté en Outre-Mer (Beck et al, 2003). Selon les mêmes travaux, ils présentaient le cas vertueux de la Martinique, le territoire ultramarin qui affichait les chiffres les plus rassurants : moins de 12% des jeunes (17-18 ans) rentraient dans la catégorie des consommateurs occasionnels et moins de 1% d’entre eux se déclaraient comme étant des consommateurs réguliers. 

  • Les stéréotypes : rétablir la vérité 

En Martinique, le phénomène est fortement stéréotypé au vu de la présence d’une forte communauté rastafari sur l’île, qui véhicule une image valorisante du cannabis et de sa consommation. Ces communautés, souvent marginalisées et défavorisées, font partie du panorama folklorique de l’île, valorisé en fonction de sa valeur marchande et de son attractivité touristique. Une situation qui facilite l’association de la part de population générale, de l’idée de consommation de substances psycho-actives à un contexte perçu comme « périphérique » – mais aussi comme pittoresque – dans lequel cette consommation, au bout du compte, ne pose pas problème. Cependant, le revers de la médaille démontre tout autre chose, je pense notamment à ces consommateurs et consommatrices qui sont issus d’un milieu favorisé, parfois scolarisés dans des établissements prestigieux (souvent privés) qui ont toujours obtenu de bons résultats scolaires – sans avoir jamais présenté de signe de décrochage scolaire – et qui évoluent dans un environnement à l’intérieur duquel cette pratique est largement tolérée. 

Quelle influence le cannabis a-t-il sur les résultats scolaires des élèves de la Martinique ?
De cette question principale en découlent d’autres : la consommation de cannabis conduit- elle nécessairement à des mauvaises performances scolaires ? Existe-t-il un effet de contexte ? 

  • Quel impact sur le développement de l’enfant ? 

Le débat sur les propriétés positives ou négatives du cannabis est fortement antithétique. 

D’un côté un nombre incalculable de recherches a été mené pour tenter de prouver que le cannabis est nocif pour l’humain, notamment au niveau de la flexibilité mentale. En effet, une étude Néo-zélandaise menée sur un échantillon de plus de 6000 participants a démontré que les réalisations scolaires et universitaires étaient moins concluantes chez ceux qui avaient commencé à consommer du cannabis avant l’âge de 15 ans en comparaison à ceux qui avaient débuté après 18 ans. Les troubles cognitifs engendrent des difficultés scolaires chez les adolescents et notamment chez ceux qui présentent déjà des signes de situation d’échec scolaire. 

De l’autre, d’autres études, plus concluantes peut-être, ont démontré bien d’autres choses. En 2003, le ministère des États-Unis de la Santé et des Services Sociaux a démontré que les cannabinoïdes étaient des neuroprotecteurs, en effet, ceux-ci ont comme propriété de « limiter les dommages neurologiques consécutifs…à un accident vasculaire cérébral et à un traumatisme, ou dans le traitement de maladies neuro dégénératives, telles que la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson et la démence due au VIH. » 

Il faut tout de même tenir compte du fait que ces troubles de l’attention sont liés à la quantité, la fréquence et la durée de la consommation ainsi qu’à l’âge de début de consommation de l’individu. Les troubles cognitifs favorisent forcément l’échec scolaire. Mais ces troubles ne sont pas spécifiques à l’adolescence, mais comme ils surviennent au moment de l’apprentissage, leurs conséquences sont plus marquées que chez le consommateur adulte. 

Cette même étude a conclu que les propriétés liées au cannabis ne conduisent pas à un comportement anti-social, ni à une dégénérescence physique, mentale ou morale. Bien au contraire, le THC contenu dans la plante de cannabis connaît des applications thérapeutiques potentiellement intéressantes, à tel point qu’à la fin des années 1980, un système entièrement nouveau dans le cours a été découvert, c’est le système endocannabinoïde qui peut être considéré comme notre « système d’exploitation au niveau de la racine » c’est-à-dire que la consommation de cannabis régule et modifie favorablement le fonctionnement de nombreux autres systèmes importants et qui les maintient en équilibre. 

  • La consommation des élèves martiniquais 

L’Enquête sur la santé et les consommations lors de l’appel de préparation à la défense (ESCAPAD) menée en 2017 par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) détermine que tous les territoires des outre-mer enregistrent une diffusion élargie du cannabis au sein de la jeune population. La Martinique connaît une diffusion croissante du cannabis parmi les jeunes générations et se distingue par une proportion d’usagers réguliers à la mesure de la moyenne métropolitaine (7 %), alors que les adultes restent en-deçà de la métropole (et des autres Outre-mer).

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Cette figure tirée de l’enquête ESCAPAD 2005-2017 de l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies démontre que les jeunes martiniquais de 17 ans font des jeunes les moins expérimentés en matière de consommation de cannabis, en effet, en 2005 par exemple, seuls 32% des martiniquais de 17 ans avaient déjà expérimenté cette activité tandis que 36% des guadeloupéens du même âge l’avaient expérimenté, contre 38% de réunionnais, 47% de Calédoniens et 50% de métropolitains. Au fil des années, l’évolution reste inchangée, les jeunes martiniquais demeurent toujours parmi les moins exprimés dans ce domaine. 

  • Enquête de terrain 

Avant tout, j’ai voulu mener cette enquête pour prouver qu’une consommation contrôlée de cannabis (mais tout de même assumée) ne menait pas obligatoirement à de mauvaises notes, un mauvais comportement, une mauvaise inclusion dans la vie éducative. Il me semblait important d’interroger un maximum d’élèves pour avoir un maximum de réponses et donc une diversité de résultats. 

Pour ce faire, j’ai élaboré un questionnaire que j’ai distribué aux élèves de classes de terminales du lycée Acajou 2. Les questionnaires ont été remplis anonymement pour que les réponses soient le plus sincères possible, aussi l’identité des étudiants n’apporte aucune valeur ajoutée aux besoins de cette étude. 

  • Présentation des résultats 
  • Différences observées entre les sexes 

On peut analyser que les garçons sont plus nombreux à débuter leur consommation « tôt », c’est-à-dire entre 14 ans et 16 ans, tandis que la majorité des filles interrogées a connu un premier essai à plus de 18 ans. Cependant, de manière générale, les habitudes de consommation des étudiants interrogés, tout sexe et âge confondus, semblent être assez similaires : la majorité d’entre eux sont des consommateurs occasionnels à réguliers (entre une consommation mensuelle à hebdomadaire) mais très peu de consommateurs quotidiens. 

Nous pouvons observer que les élèves ont des résultats scolaires plus que satisfaisants, et ce, sur les deux trimestres de l’année scolaire 2020/2021. 

  • La consommation des élèves par rapport à leur milieu social d’origine 

Nous observons donc que contrairement aux préjugés communément établis les élèves consommateurs quotidiens (23,33%) ne sont pas ceux issus de milieu social défavorisé ou populaire, mais plutôt le contraire. La plupart d’entre eux évolue dans la moyenne à supérieure avec des parents pour la plupart cadres et chefs d’entreprise. Tandis que, les élèves qui se déclarent comme étant consommateur occasionnel (60%) sont issus de classe sociale populaire, ils déclarent que leurs parents sont majoritairement employés ou sans emploi. En ce qui concerne les consommateurs réguliers (16,67%) ils sont issus de la classe moyenne, voire de la classe moyenne élevée, avec une majorité de parents employés, ou travaillant dans les administrations. 

Au regard de ces éléments, nous pouvons d’ores et déjà déclarer que l’utilisation de cannabis touche toutes les catégories sociales de la société martiniquaise. Mais, en ce qui concerne la consommation régulière à quotidienne de cannabis, elle touche les classes moyennes à aisées. 

  • Résultats scolaire par rapport à la consommation des élèves 

La plupart des élèves sondés (79,31%) obtiennent une moyenne générale supérieure ou égale à 12/20. Aussi, si nous observons plus précisément le détail des moyennes en relation avec les habitudes de consommation, nous remarquons qu’il n’y a pas de différence significative quelle que soit la fréquence de consommation. 

Si nous analysons les deux extrêmes de consommation, les consommateurs occasionnels sont 87,5%, soit 14 sur 16, à avoir plus de 12/20 au premier trimestre et les élèves consommateurs quotidiens sont eux aussi 87,5%, soit une valeur totale de 7 élèves sur 8, à obtenir des résultats au dessus de 12. Au second trimestre les données sont similaires. 

Au regard des analyses menées durant 7 mois d’enquête acharnée et d’entretiens avec les élèves, il est possible d’affirmer que la consommation de cannabis ne conduit pas nécessairement les élèves à une situation de décrochage scolaire, nous pouvons même affirmer qu’elle n’entrave pas la réussite scolaire. 

  • En somme

Nos résultats confirment que les pratiques locales, dont la consommation de cannabis, ne peuvent pas être considérées à elles seules à l’origine d’une réduction des performances scolaires d’un élève. En effet, les causes sont à chercher ailleurs ; l’analyse des résultats détermine que les notes moins élevées sont probablement dues à un manque de motivation et d’encadrement familial de l’individu. La découverte d’une consommation actée doit s’accompagner d’une prise en charge psychologique afin de maintenir les élèves dans un environnement scolaire stable et équilibré. En effet, on ne pourrait pas oublier que « de nombreux adolescents consomment du cannabis pour faire face à la tempête sous un crâne constitutive de leur âge : ça bouge beaucoup au-dedans, et le dehors décuple souvent cette tourmente interne ! » (Hachet, 2014)