fbpx
ABONNEZ-VOUS A 1 AN DE ZIST POUR 5 EUROS PAR MOIS

Guyane, Goyave et Repentance

Lisbonne, La première des Ides de Mars 1493

J’ai donné aussi à chacune des autres [îles] un nouveau nom

Lettre de Christophe Colomb aux rois catholiques

De retour des Antilles repu de fruits tropicaux, Christophe Colomb, le verbe un peu mensonger, fait son pitch pour trouver des investisseurs. Il a découvert la porte des Indes et promet monts et merveilles aux rois européens qui voudront bien le financer. Certains des passages sont célèbres: une flore et une faune « dont la majesté et la beauté, ainsi que tous les autres arbres, les plantes et les fruits, surpassent facilement les nôtres »; de leurs habitants « timides et craintifs »; les ressources en épices, en or et en métaux, abondantes.

Mais le passage commence par la description du privilège ultime. Celui de (re)nommer les choses selon son propre bon vouloir.

Le privilège du poète est aussi celui du conquérant.

Saint-Anne, Martinique, Jeudi 27 Février 2017

Au restaurant en famille. Je calme mes émotions carnavalières par la douce perfection qu’est la combinaison d’un accra au basilic et d’un punch au Neisson. Quelques mètres séparent le restaurant d’un cimetière en surplomb. Ma terrasse fait face à la Pointe du Marin et son bain de coton, les pieds dans le sable, je frétille.

Arrive le lambi, la reine des conques marines, battu jusqu’à la tendresse, grillé puis assaisonné de sauce chien. Le vent se lève, des nuages passent à grande vitesse sur la baie tour à tour riche de petites pluies, ou délivrant le soleil. Cette saison de Carême est ambivalente, presque conflictuelle. Mes deux petites cousines se battent pour des frites.

Portée par le vent, une voix féminine surgit de mon dos: « Deux jus de go-yave s’il vous plaît! ». La mâchoire serrée, je jette un coup d’œil en coin. Une table de quatre, bermudas khakis, débardeurs blancs, t-shirts « pa ni pwoblem » : des touristes métropolitains. La serveuse répond : « Très bien, deux verres de jus de goyave, ce sera tout ? ». Ils finissent leur commande. La serveuse repartie, l’un d’entre eux remarque : « elle t’a corrigé sur la prononciation ». Celle qui passait la commande, d’âge moyen, le visage agréable, d’expliquer en autorité : « Non c’est bien go-yave, j’ai fait des recherches, c’est ici seulement qu’ils disent goyave, c’est un peu comme un accent régional en France, c’est exotique ».

D’un regard torve, j’interromps : « Non, non c’est goyave ! ». Je me remets face à la mer, irrité. Mon lambi maintenant amer, je me lave la bouche d’une rasade de punch. Je n’étais pas poli, j’ai toujours eu du mal avec les incivilités.

Curieux, celui qui avait pointé la correction veut lancer la conversation: « Peut être que tu devrais demander au monsieur, il a l’air d’être sûr… »

Ni une ni deux s’engage une discussion sur l’une des questions fondamentales de notre civilisation.

Z – Parlons des règles élémentaires du français. On ne dit pas ro-yal, ou vo-yage, ou bo-yaux, ou lo-yal, ou no-yade, ou bro-yage, ou vo-yante, ou no-yau, ou impito-yable, ou flambo-yant, ou prévo-yant, ou cro-yant, mais bizarrement, peut-être parce que le fruit ne vient pas de chez vous, comme une incapacité de conceptualiser, vous l’appellez go-yave ! Le fruit vient de chez nous, on l’appelle goyave et cela a toujours été le cas. C’est son nom.

Monsieur Letouriste – Ah ben tu vois !

Madame Latouriste – Mais tout le monde en France dit go-yave, il doit bien y avoir une raison, ce n’est pas une prononciation régionale qui définit l’usage !

Z – Prenons l’exemple des autres langues latines. Espagnol : guayaba. Portuguais: goiaba. Italien : guaiava. L’anglais peut-être ? Guava. Tous disent « gwa ». Nous disons « gwa ». Il n’y a bizarrement que les Français hexagonaux qui disent « go ». Au mépris de leur langue, au mépris de leurs voisins, au mépris du bon sens. C’est ça l’exception culturelle ?

Madame Latouriste – Mais voyez-vous monsieur, j’ai fait mes recherches. J’ai ouvert mon Petit Robert et dedans il y est écrit :

Screen Shot 2018-03-09 at 12.29.19

Z – Hé bien, de toutes façons, Robert n’est pas Martiniquais !

Nous éclatons de rire, la goyave indécise.

Tout partout, Guyane, 20 Mars au 29 Mars 2017

Un mouvement de grève est parti en Guyane. Le 20 Mars c’est Kourou qui est bloqué par le collectif des Toukans , celui des « 500 frères » et une centrale syndicale de l’Union des travailleurs Guyanais (UTG). Ils s’opposent à la privatisation du Centre médico-chirurgical de Kourou. Ils veulent aussi attirer l’attention sur les problématiques d’insécurité, d’orpaillage illégal mais aussi sur les questions d’immigration.

Le 27 Mars, la grève générale a pris toute la Guyane. On compte 10 000 manifestants à Cayenne et 4000 à Saint-Laurent du Maroni, les deux principales villes du territoire. plusieurs vols entre Paris et Cayenne sont annulés, des lancements de la fusée Ariane aussi. Tout est fermé. Dans les marches on reconnaît le drapeau de la Guyane, les gorges crient « nou gon ké sa » : on en a marre, ça suffit !

Une mission interministérielle arrive et fait chou blanc. Le ministre de l’Intérieur Matthias Fekl et la ministre des Outre-Mer sont dispatchés en urgence. À quelques semaines du premier tour de la présidentielle, toutes leurs déclarations indiquent qu’ils sont pressés de tout régler rapidement.

Paris, Mardi 31 Mars 2017

C’est très sympathique et pourtant il ne faut pas faire ça. Je pense que c’est négatif.

D’abord il ne faut pas le faire sous pression. Il y a un côté syndrome de Stockholm que d’être comme ça sur un balcon avec un mégaphone cerné par les gens qui viennent négocier avec vous. Il y avait la pression des cagoulés, ensuite il y a eu cette pression là.

Ensuite la politique à l’émotion, la politique psychologique, ça marche hein, on tombe dans les bras, c’est des bons moments. Mais est-ce que c’est vraiment efficace, mais est-ce que c’est vraiment comme ça que l’on construit un pacte Républicain?

Par ailleurs, le peuple guyanais, le peuple de Guyane, je ne sais pas ce que c’est. Il y a un peuple français , il y a des Français qui vivent en Guyane, il y a des Français nés en Guyane. On a dit que le peuple corse n’était pas une notion à retenir, le peuple de Guyane c’est pareil. Il y a là une facilité à découdre l’unité de la République, une et indivisible.

Et puis enfin, c’est vrai que l’État central, Paris, n’a pas fait assez pour l’Outre-mer, n’a pas fait assez pour la Guyane, on n’a pas assez investi, mais enfin c’est vrai aussi au fin fond de la Creuse, c’est vrai aussi à Saint-Denis, c’est vrai aussi dans les banlieues les plus difficiles, est-ce qu’il faudra faire un tour de France des excuses? Non.

La culture de la repentance c’est trois minutes d’émotion et de larmes à l’œil et après c’est dix ans de difficultés.

Christophe Barbier, BFM

Tel un prêtre de l’ancien temps, du haut de sa chaire, face à un Dieu télévisuel (?), le dos tourné au peuple, Christophe Barbier déclame sa messe, autoritaire, et dans une langue incompréhensible.

Il parle de « politique à l’émotion », alors que le mouvement émerge d’une frustration réelle et objective. Quelques éléments:

  • La Guyane est en tête de tous les palmarès de la violence.
  • Le mouvement réclame des réponses quant aux forces de l’ordre présentes en Guyane
  • Mais aussi des places de prison. La Guyane a une prison de 600 places avec 900 détenus avec 48% d’étrangers qui ne peuvent pas purger leur peine dans leur pays.
  • La signature d’accord d’extradition avec leurs voisins
  • La construction d’une Cité judiciaire de commissariats de places d’accueil d’urgence pour les jeunes délinquants.

Mais aussi des revendications sociales :

  • La revendication des chauffeurs d’Endel, qui conduisent la fusée au pas de tir, qui réclament des augmentation de salaire.
  • Les agriculteurs et pêcheurs pour le retard de versement des aides

Ainsi que sur les infrastructures et le développement du pays :

  • concernant l’emploi local et l’avenir énergétique d’un territoire où 30% des gens ne sont pas connectés au réseau. L’État n’a rien construit en 20 ans.
  • Sur le logement, la santé, les routes…

Barbier ignore volontairement que cette frustration, cette situation explosive a d’abord été ignorée et évitée par la Ministre de tutelle. De peur de se retrouver dans la situation d’Yves Jégo en Guadeloupe en 2009. De peur de mettre les mains dans le cambouis.

Barbier continue et demande « si c’est comme cela que l’on construit un pacte Républicain ? » sans y répondre. Puis de se lancer dans un long pensum sur la « nation française une et indivisible », sur l’inexistence des « Corses ». Un autre outremer un peu à part. Choix habile.

Qu’en est-il des Bretons ? Des Basques ? Des Catalans ? Des Alsaciens ? Pourquoi ne parle-t-il pas de la République qui a mis de côté ses derniers relents ethno-nationalistes (enfin pas vraiment) pour justifier la reprise de l’Alsace aux Allemands ? Des Alsaciens plus Allemands que Français ? Pourquoi ne parle-t’il pas des concessions énormes faites à cette région en termes de langue, de laïcité, de religion, d’impôts, lors de la rétrocession en 1918 ?

Ils sont du Continent.

Il finit sa messe par : « La culture de la repentance c’est trois minutes d’émotion et de larmes à l’œil et après c’est dix ans de difficultés ». A son hyperbole légère, je veux répondre : et pourquoi pas vingt ans ? Ou trente ans ?

Ce sont donc ceux qui sont floués par un Pacte Républicain non respecté et cela sur des décennies (des siècles ?) qui par leurs demandes d’être reconnus comme des citoyens, que leurs doléances soient valorisées et reconnues, qui seraient responsables, par le biais d’une Ministre contrainte, de dégâts sur des décennies ?

La logique marche sur sa tête.

Barbier fait de la République mythologique. Celle d’un État fort, centralisé, libérateur et égalisateur. En vérité, la République et la Nation se sont aussi construites sur du symbole (Marianne, le drapeau bleu blanc rouge, les lieux de mémoire), de l’émotion (la Marseillaise), des compromis (le 1er Mai) et des épisodes tragiques (l’esclavage, la Terreur, la Commune de Paris, le train Congo Océan, le Vel d’Hiv, Sétif, le massacre malgache de 1947, le massacre de Paris en 1961, Zyed et Bouna…).

Son verbe sûr et paternaliste n’est qu’une démonstration ignare sur la longue histoire d’une citoyenneté alternative dans les Antilles et la Guyane. Personne en Guyane ne demande à la République de se mettre à genoux, sinon d’appliquer enfin ses principes.

Quand les Guyanais disent goyave, Christophe Barbier dit go-yave.

Amen.

L’Appel de la Goyave

Ha ? Le mot de la fin sur la goyave ?

La goyave est le fruit tropical du goyavier, originaire du Mexique, de l’Amérique Centrale et du Nord de l’Amérique. Donc de la Caraïbe. Le fruit est cultivé depuis plus de 2 000 ans dans ces régions. Le mot « goyave » provient du mot de langue arawak guaiaba, qui signifie « fruit ». Guaiaba se prononce Gwa-ya-ba. Le mot n’est ni latin, ni grec, ni celte, ni germain. Arawak, c’est le nom des amérindiens de Guyane, de Martinique et de Guadeloupe.

Il y a bien sûr des exceptions à la prononciation -oya en Français: Goya (le peintre), boyard… Parce que ce sont des mots d’origine étrangères, la prononciation particulière en respecte l’origine.

Mais dans le cas de la goyave c’est l’inverse. La prononciation est en défiance du langage original. C’est l’officialisation d’un usage erroné et exotique parce que c’est ainsi que parle la majorité. Ceux qui sont effectiveent détenteurs de ce savoir sont écartés des mécanismes de sa production, de sa validation et de sa transmission.

Il est probablement plus facile de résoudre une question de langage que celle d’une région sous-développée de la France, à 8000 kilomètres des centres de décision, qui fait la taille du Portugal et sur laquelle repose le programme spatial européen.

Je ne bénéficie pas d’Ariane à bloquer, mais j’ai décidé de changer le monde, un symbole à la fois. Parce que c’est chiant trois minutes mais que ça fait du bien aux oreilles pour l’éternité. J’ai donc décidé de lancer l’Appel de la Goyave, une pétition auprès des dictionnaires Robert pour changer la prononciation officielle du mot goyave en Français.

Pour signer l’Appel de la Goyave, cliquez ici!