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Cher Christian,

J’ai encore beaucoup pensé à vous aujourd’hui. Je vous l’ai déjà dit. Cette fois je vous l’écrit puisque vous refusez de sortir de ma tête. J’ai beaucoup pensé à vous et à vos yeux. Votre regard profond. J’y ai perdu quelque chose, je crois, à l’instant ou nous nous sommes croisés sur la jetée. J’y ai perdu un peu de moi et trouvé un peu de ce que je cherchais. J’y ai perdu de la détresse et trouvé du réconfort. Tout s’est envolé quand vous m’avez touchée. Et puis il faut le dire, Christian, il n’y a que très peu d’hommes aussi vifs que vous. Nous pourrions d’ailleurs dire que notre entente n’a tenu qu’à ce seul réflexe. Si vous ne m’aviez pas rattrapée, si vous n’aviez pas saisi mon bras aussi vite, je vous aurais certainement détesté pour longtemps. Et j’en aurais été d’autant plus désolée que je déteste détester. C’est vraiment triste quand on y pense cette capacité humaine à avoir le coeur qui se serre de colère quand on en veut à quelqu’un. Comme j’eû été malheureuse de vous détester. Quelle erreur c’eût été. Je me vois si heureuse aujourd’hui de vous connaître, de vous parler et d’échanger avec vous. C’eût été une véritable perte. Mais heureusement vous ne m’avez pas que bousculée. À une seconde près j’aurais basculé dans la baie de la Française, toute habillée et enrhumée. À une seconde près, parce que vous ne regardiez pas derrière vous, j’aurais dû rentrer chez moi trempée jusqu’aux os. Quelle mésaventure! Mais vous m’avez retenue. Votre main douce et ferme à enserré mon poignet et vous m’avez ramenée à vous avec la grâce d’un Leonardo. Oh Christian!…si c’est ainsi que votre mère vous a nommé…Christian, je suis comblée d’avoir croisé votre route! J’aime cette oreille que vous me prêtez chaque jour depuis notre rencontre. D’ailleurs puisque vous m’accordez un peu d’attention, j’aimerais vous raconter ce qui cette anecdote. Vous allez rire. Me voilà donc ce matin dans un embouteillage. Je vois passer un oiseau. Un oiseau quelconque, comme il en existe des milliers dans le ciel martiniquais. Les mêmes que ceux qui viennent picorer les goyaves à même l’arbre. A chaque fois je me fais avoir quand je vais en cueillir. Elles sont souvent entamées et c’est toujours une sacrée déception ! Je parie que vous aimez les goyaves. Pour notre prochain rendez-vous, je vous promets de vous faire un soufflé à la goyave. Je détiens une recette magique de ma grand mère. Oserais-vous dire qu’elle est là clé de la réussite de son mariage? Enfin, je m’éloigne de mon histoire. Je croise donc l’un de ces petits oiseaux qui joue à trap-trap avec un camarade. Une femelle peut être. Je ne saurais les distinguer. Un oiseau est un oiseau. Et ceux-ci volaient comme si le ciel était une piscine dans laquelle il pouvaient joyeusement s’ébattre. Et puis l’un d’eux s’est posé sur la voiture avait fait son oeuvre. Sa tignasse avait dû faire tourner des têtes dans sa jeunesse. Elle avait de toutes petites lèvres peintes en rose électrique. Une moue boudeuse comme ont souvent les gens qui ne font rien, les gens qui attendent, les gens qui pensent. Je me suis demandée à quoi elle pensait. Et puis j’ai regardé l’homme à côté d’elle. Je ne l’avais presque pas vu. Il était quasi transparent. Silencieux lui aussi. Deux personnes dans une voiture qui ne se parlent pas…Ça n’existe pas! Même quand je prends un auto-stoppeur à Trois Rivières, on discute. Et pourtant nous n’avons rien en commun. Alors même si cet homme était là par charité, je ne comprenais pas pourquoi ils ne se parlaient pas. A moins qu’il n’aient été fâchés. Pensez vous! Fâchés et forcés à cohabiter sur une route bloquée. C’est un huis clos terrible! Sartre aurait adoré. Moi j’étais plutôt Sherlock pour cette fois. J’essayais vraiment de comprendre la relation entre ces gens. Et puis, faute de réponse et sur une rocade oú la circulation avait des airs de TCSP au Lareinty, j’ai finis par laisser mon esprit vagabonder. C’est certainement de la philosophie de comptoir…enfin de voiture…mais j’ai pensé aux relations humaines. Elles sont si complexes. Christian, vous et moi nous sommes sincères l’un avec l’autre. Nous nous parlons, nous nous apprécions…mais Christian, notre histoire démarre à peine! Alors certes, peu importe notre âge, quand une relation débute on n’a de cesse de se regarder, s’observer, se toucher du bout des doigts et se plaire. Et puis le temps passe par là. Et on épuise la source de nos paroles, la fontaine à compliments ne coule plus, la rivière de nos amours s’assèche. C’est ainsi que l’on finit dans une voiture, sous le soleil de midi, vitres à demie ouvertes à attendre que le trafic soit plus fluide sans avoir rien à se dire. Christian, je suis certaine qu’ils se sont promis qu’ils s’aimeraient toujours. Je suis certaine qu’ils rêvaient de finir leurs jours main dans la main, comme le dernier couple de la dernière terre émergée d’une planète inondée. Vous aimez Waterworld? Il paraît que c’est un flop mais je n’aime pas suivre les avis des critiques de cinéma. J’ai adoré Waterworld. Ou peut être ai-je adoré Kevin Costner.  Vous voyez! C’est le genre de débat que l’on peut avoir au début d’une histoire. Vous croyez qu’ils auraient osé la rouquine et son passager!? Jamais! Ils préféraient ruminer dans leur coin, regarder droit devant, leurs lunettes de soleil vissées sur leurs visages fermés et faire mine d’écouter Bel Radio. J’en suis venue à me demander si tout le monde devait finir comme ça. Si le silence était incontournable. S’il fallait forcément finir les stocks de conversations. J’ai peur Christian. Mais je préfère en rire. Quand je pense à vous je souris. Quand je pense à cette rencontre si originale, je me dis qu’il n’y a pas de hasard. Ces gens ont dû se rencontrer dans des circonstances bien trop banales. Mais nous Christian, nous avons une histoire. Quelque chose qui meublera tous les silences. La phrase commencera par « vous souvenez vous » Et se terminera en éclat de rire. Je veux croire que le temps n’aura pas de prise sur nous. Je veux croire que nous saurons le défier. Oh et pour finir l’histoire! Je vous ai promis une franche rigolade. Figurez vous que l’oiseau à déféqué sur la belle berline bleu nuit. C’est bien la seule fois où j’ai vu réagir la vieille rousse. Ses sourcils sont sortis de derrière ses lunettes en arc de cercle comme un lever de soleil et sa bouche s’est ouverte comme si elle avait vu un accident. Ses lèvres formaient un oval parfait. C’était si drôle ! Elle a ôté ses verres sombres, a plissé les yeux pour mieux voir la crotte. Alors elle a tourné la tête d’abord vers moi, comme si elle voulait me dire quelque chose…Comme quand on cherche un camarade d’infortune. Mais je n’ai pas réagit. Alors elle a regardé son voisin comme un plan B et elle lui a parlé. Enfin, elle avait quelque chose a lui confier. Parfois les relations humaines, Christian, ne tiennent à rien de plus qu’une merde d’oiseau. 

Je vous embrasse. A très vite cher Ange.