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On peut être Français en mangeant du couscous ? 

Christine Kelly, 21 Février 2021, Cnews

Cette question fondamentale sur notre vivre ensemble est posée l’année dernière par Christine Kelly à son comparse de plateau, le (pas encore) candidat à la présidentielle, mais (déjà) condamné plusieurs fois pour “provocation à la discrimination raciale” et “provocation à la haine religieuse”, Éric Zemmour.

La relation sur le plateau est complice. Christine Kelly, rajoute un “vous voyez ce que je veux dire”. Il ne manque plus que le clin d’oeil et un “vas-y tu peux y mettre ta merguez”. Vous me direz que j’exagère… Et Zemmour de s’en donner à coeur joie : « Mais bien sûr, on peut être Français en mangeant du couscous ! Mais on ne peut pas être Français en insultant et en crachant sur une fille parce qu’elle a une jupe. Et en ne mangeant pas avec des Français en les traitant d’impurs parce qu’ils mangent du cochon ! Ça, ce n’est pas possible !”

Sans le dire, voilà le couscous séparé du musulman, de l’arabe, du nord-africain. Ils ne sont jamais nommés, mais inférés à travers les pires attitudes. Ils n’ont pas d’autres qualités, pas d’autres moeurs qui mériteraient approbation. D’un côté, le couscous, qui peut-être français, de l’autre ce perpétuel immigré, altérisé, menaçant. Un Français pour toujours au conditionnel. On veut bien prendre le plat, mais gardez-vous de vos mauvaises manières ou sinon !

Mais l’échange ne s’arrête pas là, Zemmour renchérit quelques minutes plus tard :

« Moi, évidemment, le couscous, j’adore ça ! J’en mange depuis que je suis petit en plus ! Je viens de l’autre côté de la Méditerranée ! Ma mère faisait le meilleur couscous du monde !« 

Marc Menant, autre intervenant sur le plateau, de conclure :

« Avec du jambonneau !« 

Je n’exagérais pas. Ils éclatent tous d’un rire célébrant le Pays des Lumières.

Il faut dire que depuis quelques années le couscous semble être au cœur des débats politiques d’une société française qui raffole des débats de haut niveau ciblant les enjeux politiques et sociaux de la France au XXIe siècle. Ils semblent tous plus ou moins liés à la nourriture : la cuisine cantonaise avec le wokisme, la cuisine fusion avec l’islamo-gauchisme, le blanc de poulet aux asperges avec la cancel culture. 

Pour l’observateur extérieur, cela pourrait sembler bien fade et un peu rébarbatif, mais nous sommes dans un pays de gastronomie après tout, un pays qui n’a peut-être plus envie de grandes métaphores et d’horizons lointains. Un pays qui veut du jambonneau.

Prenez Fabien Roussel, le candidat communiste à l’élection présidentielle. Pour lancer l’année sur de bonnes notes gustatives, il déclare que : “Un bon vin, une bonne viande, un bon fromage : c’est la gastronomie française”. Une pensée pour le Kouign-Ammann, le dessert préféré des bretons et des guadeloupéens, et à la bouillabaisse, oubliés dans ce panthéon. De toute façon, Marseille c’est l’Afrique. 

Le propos a fait polémique. Sandrine Rousseau des Verts lui indiquant que le couscous est le plat préféré des Français. Que voulait-il dire par là ? Serait-il raciste obtus? Il y aurait-il un message codé derrière cette apologie de la gastronomie française réduite à trois éléments, tellement mythiquement gaulois, qu’il ne manque qu’un “par Toutatis !” pour bien affirmer le propos ?

Car voyez-vous, en 2022, en France, pour rassurer tout le monde sur le fait qu’on n’est pas raciste obtus, on se prend en photo en train de manger du couscous. Il y a quelques années le Front National fut traversé d’une terrible crise, baptisée le Couscousgate. Je n’invente rien. 

Florian Philippot, vice-président du parti, alors en rupture de banc, décide de se photographier avec quelques alliés en train de manger le “meilleur couscous de Strasbourg”. Choc et indignation chez les faschos : “pourquoi ne mange-t-il pas de la choucroute” ou je ne sais… Un instant : il y a de la viande ou du fromage dans la choucroute ? Je suis confus. 

Bref, selon certains observateurs politiques, il s’agissait de signifier symboliquement la dédiabolisation du FN, de parler aux quartiers populaires, qui raffolent de couscous. De montrer qu’on est ouvert. Il a fini par quitter le Front pour fonder les Patriotes. Il faut croire que tout le monde n’aimait pas le couscous dans le Parti. Mais alors… le FN ne serait pas le parti de la France d’en bas ? Je suis confus. 

À vrai dire, dans cette histoire de semoule, je n’invente rien. Il y a quelques années, en 2015, une affiche de campagne pour les régionales de Marine Le Pen a été détournée avec le slogan “Je ne suis pas raciste, je mange du couscous”. C’était éminemment drôle et mettait en lumière le double discours que constituait la normalisation du Front National. 

Mais au pays du jambonneau sur le couscous, la satire est la réalité. Une enquête du Monde nous révèle que Marine Le Pen, soucieuse “d’amadouer la gauche Républicaine”, a accueilli dernièrement la personnalité médiatique Rachel Kahn chez elle pour un dîner secret. 

Rachel Kahn est un personnage intéressant. Il y a quelques années, elle s’était distinguée dans Ouvrir la Voix, le documentaire d’Amandine Gay mettant à jour les discriminations contre les professionnels noirs dans le cinéma français. Puis elle a changé du tout au tout. En 2020, elle sort un essai, l’étrangement nommé “Racée” (est-elle une voiture ? Un avion ?), supposément influencé par la pensée d’Edouard Glissant et la créolisation, elle y dénonce “le wokisme” et tant d’autres cuisines. 

Rachel Khan, c’est un peu le Tout-Monde ramené au Moi-Je. Le métissage individuel pensé comme finalité collective sans reconnaissance de la différence. Elle cite Edouard Glissant, l’un des plus grands critiques de l’universalisme occidental – qu’il a défini comme le plus grand grand destructeur des cultures de ce monde –, un indépendantiste séparatiste, pour faire l’apologie des Lumières et de l’Universalisme Républicain. “L’Occident n’est pas un lieu, c’est un projet”, condamnait Glissant. Bah ! 

Je me souviens qu’au lancement de l’Institut du Tout-Monde à Paris, Edouard Glissant avait fait venir des poètes du monde entier, de toutes les langues, pour faire entendre leurs sons, leurs voix, leurs cultures. Mais ne marinons pas trop longtemps dans ce plat-là et ses contradictions, après tout, tout le monde doit manger. 

Que pensez-vous que Marine Le Pen, la fille du gars qui torturait des Algériens, qui a repris son parti formé avec des Waffen SS, qui trouve qu’il y a trop de noirs en Équipe de France, a servi à Rachel Khan, “l’Afro-Aschkénaz” ? Du couscous évidemment. 

Entre deux bouchées (j’imagine), touchée par ce geste d’ouverture et de solidarité républicaine, Rachel Khan lui glissera : “Ta campagne, c’est comme un championnat. Tu dois gagner sur toi-même.” Mais la vraie question que tout le monde devrait se poser est la suivante : en plus de l’eau dans son vin, Marine avait-elle mis du jambonneau dans son couscous ?

Jean-Luc Mélenchon est aussi un grand fan de couscous. Il en est un peu le héraut dans la vie politique Française. Lors d’un meeting 2012, il déclarait : “Tout le monde mange du couscous et des merguez dans ce pays, l’intégration est réussie.”

Aujourd’hui, loin d’être le symbole positif d’un processus fini et accompli, faites votre chemin y’a rien à voir, il est le symbole de “la créolisation”. Créolisation entendue comme un processus uniquement positif, un mot équivalent à métissage. Très bien, pourquoi pas. 

Mais alors que veut dire ce constat de la créolisation politiquement ? Quelles en sont les traductions concrètes ? Cela signifie-t-il combattre véritablement les discriminations à l’emploi, au logement ? Cela implique-t-il un nouveau récit national incluant l’histoire de l’esclavage, de la colonisation et de leur héritages bien réels dans la société actuelle et comme autre chose que des récits à la marge ? Pourra-t-on parler Réparations ? Si la Créolisation et le métissage sont le nouveau fait français, le nouveau modèle français, celui vers lequel tendre, quelle politique de l’immigration, de l’accueil des étrangers ? 

Car chez le co-auteur de “Quand les Murs Tombent”, la Créolisation ne s’arrête pas. Pour le meilleur et pour le pire, il nous faut réfléchir aux couscous de demain. Je vous ai parlé de ma recette de Thiakry accompagné de Gefilte Fish