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Il n’y a pas de génocide par substitution

« Des peuples entiers ont été finalement évacués de l’histoire parce que d’abord recouverts, laminés, absorbés. En tout cas l’histoire nous a rendus méfiants : nous redoutons le génocide par substitution, même s’il s’agit du génocide par persuasion. »

Tout commence par un malentendu. La seule fois qu’Aimé Césaire utilise officiellement l’expression “génocide par subtitution”, ce n’est pas pour décrire une énième atteinte colonialiste aux intérêts de la Martinique, mais pour dénoncer un projet de re-colonisation de la… Guyane. En 1975, le gouvernement envisage d’y encourager l’installation massive de français de l’Hexagone, mettant en péril la survie d’une culture guyanaise en pleine affirmation, alors même que le BUMIDOM encourage au départ les forces vives de ce territoire. Le poète député précise immédiatement sa pensée en préférant l’expression “génocide par persuasion”, mais c’est le premier terme que l’histoire retient, certainement parce qu’il porte une menace plus palpable, plus charnelle. Plus scandaleuse. 

Actuellement, à la faveur d’un mouvement social condamnant l’empoisonnement des Antillais au chlordécone, le terme “Génocide par substitution” refait surface pour dénoncer cette fois-ci l’arrivée massive et régulière de personnes natives de l’Hexagone en Martinique. Ces personnes, qui ne seraient ni d’origine ni de culture antillaise, viendraient à terme remplacer une population martiniquaise affaiblie par les pesticides et déplacée par des politiques incitant l’émigration. 

Deuxième malentendu. Aimé Césaire a bien reproché au gouvernement français d’organiser l’installation aux Antilles de fonctionnaires hexagonaux tout en incitant à l’exil des jeunes Martiniquais·es. Mais c’était en 1977, et sans utiliser le terme «  genocide par substitution ». Dans un excellent article sur l’histoire de cette expression, Claire Palmiste nous explique que “Pour Aimé Césaire, les ressources dont disposaient les nouveaux arrivants et l’idéologie dont ils étaient porteurs, les plaçaient dans une position de force qui menaçait un équilibre encore précaire malgré la départementalisation.” (p.3) Le problème n’était pas d’être remplacé·e·s numériquement par des Français·es de l’Hexagone, mais de se retrouver sous la domination d’une administration occupée par des Hexagonaux, car : « les nouveaux venus ne sont pas un quarteron de Hmongs pitoyables qu’il convient, en effet d’aider, mais d’autres allogènes, autrement organisés, autrement pourvus, autrement dominateurs aussi et sûrs d’eux-mêmes qui auront tôt fait d’imposer à nos populations la dure loi du colon. Je redoute autant la recolonisation sournoise que le génocide rampant ».

C’est moins tape à l’oeil que la substitution, mais c’est bien de cela que Césaire parle le 3 novembre 1977, et pas d’autre chose. Il ne s’agit pas juste de chipoter sur les mots : les mots ont un sens et si nous respectons notre culture et notre intelligence, il me semble important de leur rendre justice. En l’occurrence, l’imprécision de certain·e·s alimente des théories similaires à ce que l’extrême droite nomme en France le “Grand remplacement”.  Effectivement, si on prend le terme “génocide par substitution” au pied de la lettre, en ignorant le contexte précis dans lequel il a été employé, il ne reste plus qu’à glisser dans une urne un bulletin Front national. Le génocide, décrit le projet d’exterminer un groupe humain en raison de sa particularité culturelle, ethnique, phénotypique, religieuse ou idéologique. S’il se fait par substitution, cela signifie que la population victime de ce crime est remplacée par une autre population ! Là-bas on craint que les Blancs ne soient bientôt tous remplacés par des Arabes et des Noirs. Ici on craint que les Noirs ne soient bientôt tous remplacés par des Blancs. Dans les deux cas, la solution contre une telle vision apocalyptique consisterait à stopper l’immigration.

Le génocide, décrit le projet d’exterminer un groupe humain en raison de sa particularité culturelle, ethnique, phénotypique, religieuse ou idéologique. S’il se fait par substitution, cela signifie que la population victime de ce crime est remplacée par une autre population !

L’histoire migratoire récente de la Martinique et si révoltante qu’elle peut nous encourager à tirer de telles conclusions. En effet, depuis 1963 et la création du BUMIDOM, l’Etat favorise l’émigration d’Antillais·es en âge de procréer. Le Bureau de Migration des Outre mers est alors censé endiguer le chômage dans les Outre mers, mais a surtout pour fonction de déplacer une génération qui, depuis les manifestations de février 1959, montre des velléités indépendantistes. En 1982, les scandales liés au déracinement et au sous-emploi de ces personnes amènent le gouvernement présidé par François Mitterrand à supprimer le BUMIDOM. L’ANT le remplace sans démontrer de véritables projets en faveur du développement endogène des Antilles. Comme souvent, la France règle le problème d’une institution inefficace en changeant son nom, mais a-t-on vraiment déconstruit et renversé l’argumentaire qui a créé le BUMIDOM depuis 1963 ?

Depuis 2006, c’est LADOM qui a pris le relais. Cette structure finance essentiellement des départs vers la France hexagonale, pour les études ou la formation. A l’issue de cette chronologie, le solde migratoire est toujours déficitaire chez les personnes en âge de procréer en Martinique, accélérant le processus de vieillissement de la population. Nous avons perdu 17 000 habitant.e.s au cours des 5 dernières années, et cette déprise démographique ne marque pas le pas. Et 36% des jeunes sont toujours au chômage.

Tout le monde a aujourd’hui à l’esprit ce drôle de champignon qui illustre le déclin démographique de notre territoire. On y voit, sur la pyramide des âges, un creux entre 18 et 50 ans. Ce creux, c’est la population qui nous manque. Ce creux, ce sont ceux et celles qui sont partis pour toujours – ou presque -, des Martiniquais·es qui ne feront pas d’enfant en Martinique, qui ne renouvelleront pas la population martiniquaise. 

Le résultat de cette absence, c’est le pied de ce champignon, un pied rabougri, fragile, tanguant même, où les naissances diminuent inexorablement. La conséquence de ce creux, ce sont des salles de classes et de maternités qui ferment, un marché qui se réduit, une ambiance de déclin qui s’installe. Alimentant la sinistrose, l’INSEE révèle chaque année les chiffres de la dégringolade. Notre population fond. Notre enfance fond. Notre culture fond. Et pendant que la population native des Antilles diminue, d’autres groupes semblent de plus en plus présents sur l’île, particulièrement des personnes nées sur l’Hexagone, et qui n’ont pas d’attache familiale ou culturelle chez nous.

Alors on se pose la question qui fâche : la population martiniquaise est-elle en voie d’être remplacée par une population allogène? (c’est à dire d’une origine différente de celle de la population autochtone)

Trop de Blancs en Martinique? Gare aux fake news.

Les fausses rumeurs naissent souvent de la conviction partagée qu’on nous cache des informations essentielles. Ici, sous le prétexte de l’interdiction de faire des statistiques ethniques, on ne pourrait pas connaître le nombre de “zoreys”, de “blancs”, de “métros”, qui résident en Martinique. Effectivement, hors de question de désigner des groupes humains par ces termes, qui mélangent de façon hasardeuse carnation, lieu de naissance, appartenance culturelle et jugement de valeur populaire. Nous vivons dans un monde post esclavagiste où la couleur de peau a un sens, où le racisme tue, où il est utile d’étudier la situation des personnes selon leur couleur de peau afin de mettre en lumière les discriminations dont les personnes racisées sont victimes et de les combattre. Mais lutter contre le racisme c’est aussi lutter contre l’enfermement des individus dans un carcan chromatique institué dans les bateaux négriers. C’est refuser que l’identité et le statut politique d’un individu soient déterminés par la chair. Nous sommes plus que cela. Concrètement, la couleur de peau n’est pas un critère utile pour distinguer population autochtone et population allogène aux Antilles. La connaissance du carnaval, du matoutou ou des cantiques de Noël, qu’on les pratique ou pas d’ailleurs, et la langue créole, disent plus l’identité martiniquaise que le taux de mélanine que nous ont transmis nos géniteurs. 

Ceci étant dit, aucune information utile à la décision politique n’est cachée en ce qui concerne la démographie de la Martinique. Pour savoir si les Martiniquais·es sont en voie d’être remplacé·e·s, il faut simplement se rendre sur le site de l’INSEE armé·e d’une calculette. Et au cas où vous n’auriez pas de calculette, je me propose de faire la démarche à votre place. Je vous préviens, la première réponse à apporter à la question est bien moins sexy que la fake news.

Quelle est la taille de la population non native et non originaire des Antilles  en Martinique? Les chiffres de l’enquête Migration famille et vieillissement nous apprennent que 10,7% des habitant·e·s de la Martinique sont né·e·s sur l’Hexagone. 41,9% de ces immigrant·e·s sont originaires de la Martinique.

« Alors… est-ce que c’est grave docteure? »

6,2 % des habitant·e·s de Martinique sont né·e·s sur l’Hexagone et ne sont pas originaires de Martinique. 

« Alors… est-ce que c’est grave docteure? »

A titre de comparaison, en Guyane 13% de la population est d’origine allogène et 42% de la population vient d’Amérique du Sud ou d’Haïti. Sur cette terre d’immigration, la population est en pleine recomposition, et les personnes d’origine guyanaise sont minoritaires sur leur territoire. Mais la Guyane reste essentiellement habitée par des personnes issues du plateau des Guyane et de la Caraïbe, de culture afro-descendante, indo-descendante et amazonienne. Le génocide par substitution qu’a combattu Césaire n’a pas lieu : l’immigration hexagonale est largement dépassée par le dynamisme de l’immigration de proximité. 

Autre territoire, autre comparaison : en France hexagonale, où l’extrême droite porte depuis plusieurs décennies le chiffon rouge du grand remplacement, les immigré·e·s représentent 9,9% de la population totale. Un tiers d’entre eux étant des Européens, la population immigrée que l’extrême droite considère comme allogène en France est de 6,6%. La proportion de personnes allogènes en Martinique est donc tout à fait anodine, c’est-à-dire qu’elle n’a rien de significatif comparée à d’autres territoires. Dès que les peuples se rencontrent, font commerce ensemble, grandissent ensemble, il y a 10% d’étrangers dans la population, dont un certain nombre sont de retour au pays. C’est le cas depuis l’Antiquité, et loin de faire s’effondrer les populations, ces échanges les ont portées. 

Oui, me direz-vous, mais le problème, c’est l’augmentation constante de cette population allogène dans la population générale ! A ce rythme là, aujourd’hui ils sont 6,6%, mais demain, ils seront La population ! … 

Là aussi les chiffres de l’INSEE sont très instructifs, puisqu’ils nous apprennent qu’entre 2006 et 2015, la population des non natifs a augmenté de 1,4 %. On aura le temps de se faire harakiri de bien d’autres façons avant qu’un faux plat devienne une avalanche…

Dire qu’on a un problème d’immigration en Martinique, que la population martiniquaise est menacée par l’arrivée de personnes venant de l’extérieur et singulièrement de l’Europe, c’est donc prendre le problème démographique de la Martinique à l’envers et s’inscrire sur un terrain glissant qui en a mené bien à une xénophobie mortifère. Le problème, le vrai, celui qu’il nous faut régler pour demeurer caribéen·ne·s, c’est que la population des native vivant hors de Martinique a augmenté dans le même temps de 14,8 % !

Regardons le vrai problème en face : nos jeunes partent.

Source du graphique: Claude-Valentin MARIE, “Les DOM à l’horizon 2030 entre migrations, vieillissement et précarité: quel projet de société? Note de travail pour le commissariat général à la stratégie et à la prospective “quelle France dans 10 ans””, Séminaire sur les Outre-Mer, 2014  p. 7

C’est à l’âge de passer le bac que l’hémorragie migratoire commence. Faute d’offre  universitaire à la hauteur de leurs espérances et encouragé·e·s depuis l’enfance par un discours d’auto-dénigrement aux relents coloniaux à fuire le plus vite possible leur bled décrépit, près de la moitié des jeunes bacheliers/ères quittent la Martinique pour l’Hexagone, le Québec et plus rarement dans des pays anglophones ou hispanophones. Quelle fierté, souvent, pour leurs familles, de voir leur progéniture partir vers des horizons glorieux, découvrir le monde ! Illuminés par des intérêts individuels légitimes, on ne se rend pas toujours compte à ce moment-là que l’enfant prodigue ne part pas juste en erasmus pour 8 mois : il émigre. Il s’en va. Le plus probable, c’est qu’il ne reviendra pas. 

Quelle fierté, souvent, pour leurs familles, de voir leur progéniture partir vers des horizons glorieux, découvrir le monde ! Illuminés par des intérêts individuels légitimes, on ne se rend pas toujours compte à ce moment-là que l’enfant prodigue ne part pas juste en Érasmus pour 8 mois : il émigre. Il s’en va. Le plus probable, c’est qu’il ne reviendra pas. 

Partir cinq ou dix années dans un autre continent quand on a entre 18 et 30 ans, ce n’est pas anodin. C’est l’âge auquel on rencontre ceux et celles qui nous accompagneront tout au long de notre vie : nos amis, notre réseau, notre deuxième famille, les gens avec qui on partage des valeurs, des histoires, des galères. Des histoires d’amour qui durent aussi. Obnubilés par le problème économique et par le chômage, ce chômage qu’on agite en chiffon rouge devant nos jeunes depuis les années 1960 pour donner distribuer des aller simples, les familles n’ont pas toujours conscience qu’à termes, les enfants ne partent pas seulement étudier : ils partent construire leur vie… ailleurs.

Moins de jeunes… donc moins de bébés !

La perte de population continue depuis 20 ans touche essentiellement des jeunes en âge de procréer. Cela a pour conséquence une accélération profonde de la déprise démographique. Les jeunes exilé·e·s ne sont pas que des étudiant·e·s, et travailleurs/ses. Ce sont des parents en puissance. Leur absence fait chuter le taux de natalité de la Martinique. Et ce n’est pas faute de faire des enfants ! Combien de fois ai-je entendu des commentateurs faire porter aux femmes martiniquaise de chapeau de la crise démographique? Elles ne font pas assez d’enfant ! Elles cherchent une vie facile, refusent d’être en ménage ! Balivernes : le nombre d’enfants par femme en Martinique (taux de fécondité, attention à ne pas confondre… ) est sensiblement le même qu’en France hexagonale (1,89 enfants par femme en 2018). Il n’y a pas de raison d’attendre des femmes martiniquaises un comportement différent que celui de femmes qui disposent des mêmes produits contraceptifs et qui jouissent du même droit du travail. Nous avons le taux de natalité d’un pays qui a achevé sa transition démographique, et c’est ( pour le coup) un signe de richesse.

Si le nombre de naissances s’effondre d’année en année en Martinique, c’est parce que la part des femmes en âge de procréer dans la population générale s’affaiblit. Une bonne partie des jeunes mères a quitté le territoire après 18 ans. Ces femmes martiniquaises font autant d’enfants que les femmes françaises… mais elles les font sur l’Hexagone.

Résultat : la population autochtone diminue parce que les jeunes sont très nombreux à quitter le territoire et que les enfants de ces exilés ne naissent pas et ne grandiront pas en Martinique. Le problème démographique auquel est confrontée la Martinique, ce n’est pas une augmentation de la population non native, mais une diminution de la population native. Alors s’il n’y a pas trop de personnes allogènes en Martinique, s’il n’y a pas de raz de marée humain venus d’une culture différente de la nôtre, pourquoi nombre d’entre nous ont la sensation d’être envahis et de perdre leur pays?

Les Antilles, terres de brain drain

Le déficit migratoire est le principal responsable de la baisse de la population en Martinique : le creux de notre pyramide des âges se situe à la période où ils partent en masse suivre un cursus universitaire ailleurs. Et ces jeunes qui partent, nous en avons pourtant cruellement besoin. 

Les jeunes martiniquais obtiennent moins souvent un diplôme du supérieur que leurs camarades français. Qu’on se le dise, le niveau d’étude de notre population est davantage celui d’un pays émergent que celui de la 5e puissance mondiale. Dans ces conditions, chaque diplômé devrait apporter à l’économie ses compétences et créer des emplois dans son territoire ! Malheureusement, ces cadres en puissance sont les premiers candidats au départ. 

Selon les chiffres de l’INSEE, 40% des jeunes natifs de la Martinique diplômé·e·s du supérieur résident sur l’hexagone, contre 15% des jeunes non diplômé·e·s. Que les diplômé·e·s soient les plus nombreux à émigrer n’a rien d’exceptionnel : l’émigration est une démarche coûteuse, qui demande de disposer d’un capital économique, social et/ou culturel important. Contrairement à ce que laisse entendre la propagande xénophobe en France, ce ne sont ni les plus pauvres ni les moins qualifiés qui émigrent en masse d’un continent à l’autre. Le problème démographique EST un problème de « fuite des cerveaux ». Ce n’est donc pas par élitisme mais par stratégie que l’association Alé Viré Martinique Terre d’Avenirs concentre son action sur le retour au pays des jeunes diplômé·e·s. 

Tout ça est à pleurer? Consolons-nous en comparant ! La situation de la Martinique n’a rien d’exceptionnel. Fanny Aude Bellemare montre que ce phénomène touche l’ensemble de l’arc antillais. “La Jamaïque et Haïti enregistrent des taux d’émigration qualifiée de près de 80% », nous dit Fanny-Aude Bellemare, en rappelant que tout l’arc antillais est touché par ce phénomène. Le territoire le moins touché est Cuba, qui malgré une politique d’émigration très stricte voit 29% de ses diplômé.e.s quitter son territoire. 

J’entends souvent dire, au sujet de la fuite des cerveaux, que la présence de nos jeunes diplômé·e·s à l’étranger est une chance et une richesse pour la Martinique : ils participent au rayonnement de notre culture et ramènent au pays des opportunités… Je ne doute pas qu’un certain nombre de ces jeunes aient des activités bénéfiques pour notre économie. Comme le reprend Fanny Aude Bellemare, “ Un taux positif mais limité entre 5 % et 10 % peut être bon pour le développement » (DOCQUIER, 2007, p. 49). 

10%. Pas 40 % !

Les pays antillais sont confrontés à un phénomène d’émigration de travailleurs qualifiés délétère pour l’économie. La conséquence de ce phénomène, c’est un déficit d’encadrement, qui doit être comblé par les entreprises martiniquaises d’une manière ou d’une autre.  Du coup…

20% des hexagonaux installés en Martinique occupent des postes de cadre, contre 7% des natifs 

Cela nous amène au problème que soulevait déjà Aimé Césaire lorsqu’il parlait vraiment de génocide en Martinique, un problème auquel nous sommes encore confronté·e·s aujourd’hui. La Martinique n’est pas submergée par des immigrants venus de l’hexagone. Mais ses jeunes natifs diplômés étant très nombreux à partir, les natifs de Martinique sont sous-représentés parmi les cadres et professions intellectuelles supérieures. 

Voici les chiffres de l’INSEE à ce propos : 

  •  3% des actifs sont des non natifs occupant des postes de cadres 

Attention, il ne faut pas oublier que 41% de ces non natifs sont originaires de la Martinique ! Donc…

  • Environ 1,8% des actifs sont des non natifs et non originaires occupant des postes de cadres. 
  • 6% des actifs sont des natifs occupant des postes de cadres, auxquels on peut ajouter 1,2% d’originaires.

Donc les Antillais sont trois ou quatre fois plus nombreux que les allogènes dans les postes de cadres.  Ces derniers  n’en sont pas moins surreprésentés dans cette catégorie. Pour comprendre cela, il faut s’intéresser à un autre chiffre : 

7 % des natifs en activité sont des cadres 

20 % des non natifs en activité sont des cadres 

Imaginez que vous vous promenez dans les rues de Fort-de-France : 

Si vous croisez un non natif dans la rue, il a 1 chance sur 5 d’être un cadre 

Si vous croisez un natif dans la rue, il a 0,35 chance sur 5 d’être un cadre

Comme la population allogène en Martinique demeure anodine (6,2%), ces personnes issues d’une autre culture sont bien minoritaires dans les postes de cadre. La grande majorité des cadres et des chefs d’entreprises, en Martinique, sont des Antillais natifs et/ou originaires des Antilles. Mais on peut avoir la sensation que les allogènes sont majoritaires parmi les cadres, car ils sont nombreux dans notre entourage à être cadres. Notre expérience individuelle de ce phénomène nous donne une vision déformée de la réalité, qui peut amener, dans un contexte de colère sociale bien légitime, à développer des discours dont le potentiel xénophobe est préoccupant.

La grande majorité des cadres et des chefs d’entreprises, en Martinique, sont des Antillais natifs et/ou originaires des Antilles.

Il n’y a pas de génocide par substitution aux Antilles, il y a un manque de propositions d’avenir

Au sens littéral du terme, il n’y a pas de génocide par subsitution en Martinique, car la population autochtone ne peut mathématiquement pas être remplacée par la population allogène. Une fois dit cela, pourquoi garde-t-on une frustration, un sentiment de méprise, d’inachevé? C’est qu’il se lève dans notre imaginaire collectif un éblouissant remède à la mélancolie identitaire : le fascisme. Il faut bien mettre un nom sur cette idée lancinante selon laquelle la survie de notre peuple passerait par un éveil de l’être martiniquais à lui même, ravivé par les tambours battant d’une ancestralité fantasmée où n’auraient vécu que des rois et des reines de sagesse et armés de gloire. 

Blessés par une guerre perdue, incapables de donner sens à un État nation éclaté, affamés par la crise, les Italiens des années 1920 étaient aussi allés chercher dans des statues de marbre le reflet de leur être, et ont détruit ensuite tout ce qui ne lui ressemblait pas, à cette statue, jusqu’à ce que leur monde lui ressemble, jusqu’à ce que leur être fantasmé deviennent au monde une réalité. 

Il y a toujours des étrangers dans un pays. 10%, s’il faut mettre un chiffre. Ils sont souvent bien lotis parce qu’ils l’étaient déjà avant d’arriver. On leur a d’ailleurs souvent appliqué des impôts spécifiques. Les sociétés qui ont su penser leur économie avec les étrangers se sont enrichies. Et nombre de prophètes maudissant les étrangers ont fait glisser leur peuple hors des honneurs de l’histoire. Apprenons des erreurs de ceux qui ont massacrés nos ancêtres : ne devenons pas fascistes. Restons dans l’histoire du côté des justes. Et réglons nos problèmes avant de chercher des boucs émissaires. Ramenons nos enfants à la maison, et dissuadons-les de partir pour toujours : c’est là le seul problème que nous avons. 

Bibliographie

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BRETON Didier et TEMPORAL et Franck, « Décroissance démographique et vieillissement : une exception des Antilles françaises dans l’espace Caraïbes ? », Études caribéennes, 43-44 Août-Décembre 2019, mis en ligne le 30 octobre 2019. http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/16864 

CRAIGNOU Antonin, “Bilan démographique 2018 Le départ des jeunes à l’origine du déclin démographique”, Insee Flash Martinique , n°132, janvier 2020

DEMOUGEOT Lise, “Léger repli de l’attractivité en Martinique, prédominance des non-natifs parmi les emplois qualifiés”, Insee Flash Martinique n°52, 2016 

CESAIRE Aimé, Écrits politiques. Discours à l’Assemblée nationale. Anthologie éditée par René Hénane, éd. Jean-Michel Place, 2013

HADDAD Marine, L’effet d’une politique d’Etat sur les migrations DOM/Métropole. Les enseignements des recensements de 1962 à 1999, Institut national d’études démographiques, Revue  Population, 2018/2 Vol. 73 , pages 191 à 224 

MARIE Claude-Valentin, “Des « Nés » aux « Originaires » Dom en métropole : les effets de cinquante ans d’une politique publique ininterrompue d’émigration.”, Informations sociales, 186(6), 40-48. 2014

MARIE Claude-Valentin Jean-Louis RALLU, Migrations croisées entre DOM et Métropole : l’emploi comme moteur de la migration, Espaces, Populations et sociétés, 2004-2 pp. 237-252

MARIE Claude-Valentin, Les DOM à l’horizon 2030 entre migrations, vieillissement et précarité : quel projet de société? Note de travail pour le commissariat général à la stratégie et à la prospective , 2014

MARIE Claude-Valentin (dir.), Enquête « MIGRATION FAMILLE ET VIEILLISSEMENT », INED/INSEE, 2010

MARIE Claude-Valentin, Temporal F “Les migrations des natifs des Dom : une sélection accrue au bénéfice de la France métropolitaine” In Mobilités ultramarines, Ed Archives contemporaines, pp.1-14, 2014

PALMISTE Claire, “Génocide par substitution: usages et cadre théorique”, 2012, https://hal.univ-antilles.fr/hal-01771854/documentRAIMBAUD B., « Bilan démographique : natalité et fécondité en forte baisse », Insee Flash Martinique, n° 110, janvier 2019

Disclaimer : Nadia Chonville est membre de l’Association Alé Viré et tête de section sur une liste pour l’élection à la Collectivité Territoriale de Martinique. Cet article est en préparation pour notre revue bien avant cette candidature. Si nous soutenons l’argument qui y est présenté, il ne s’agit pas d’un soutien politique. Pour plus de renseignement notre charte « Règles et principes pour un média en pays dominé » publié l’année dernière.


  1. Article excellemment bien rédigé, et très abordable pour le grand nombre. Néanmoins je déplore quelques raccourcis quant à l’organisation des départs des jeunes martiniquais, des imprécisions sur le rôle joué par les établissements publics mis en place par l’Etat et enfin le dédouanement des ceux qui étaient aux responsabilités au niveau local et qui n’ont jamais vraiment réfléchi à une véritable politique visant à rendre le territoire attractif pour infléchir cette tendance.

  2. moi j’ai porté plainte contre l’état français pour génocide par substitution alors que nous n’étions que des enfants !! les 5 enfants de la même famille nous avons étaient drogués et nous nous réveillons dans un jardin !!! surement a la gendarmerie de la Redoute a la Martinique !! puis nous serons embarqués sur le paquebot le Colombie direction la france ou nous arriverons le 15 Mars 1956 !! quand la vérité dérange ces gens trouvent tous les moyens pour nous faire taire ?? jamais je ne céderait pas devant vous les salopes

  3. Voici une analyse qui mériterait d’être largement partagée aussi en Guadeloupe! Sur l’émergence de la base d’un fascisme autochtone aussi! Les vieux leviers fonctionnent partout en France Hexagonale et chez nous aux Antilles. Merci Nadia.

  4. Vivant en Martinique depuis deux ans, j’essaie de comprendre ce phénomène migratoire de la jeunesse.
    Je pense effectivement qu’il y a un manque de possibilité de choix d’études et lorsqu’elles sont adaptées aux emplois locaux, le nombre de places dans ces formations manquent. Un réel problème aussi, c’est l’organisation des transports en commun qui ne sont pas assez fiables et qu’il n’y a pas encore de covoiturage.
    Merci en tout cas pour cette analyse… Pour moi, où qu’on vive, il ne faut rien attendre des autres qui ne vivent pas au même endroit… La volonté doit venir de ceux qui le vive au quotidien et toujours garder à l’esprit que la jeunesse est notre avenir… Donc les aider à devenir les adultes sur lesquels ont pourra compter demain

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