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Ahou Ahou Ahou !

“Alors, tourné vers l’Afrique, l’Antillais va la héler. Il se découvre fils d’esclaves transplanté, il sent la vibration de l’Afrique au plus profond de son corps et n’aspire qu’à une chose : qu’à plonger dans le grand « trou noir ». Il semble donc que l’Antillais, après la grande erreur blanche, soit en train de vivre maintenant dans le grand mirage noir.” 

Frantz Fanon, L’Antillais et l’Africain, Pour la révolution africaine. 

La première fois que j’ai vu Kémi Séba au Parc Floral, nous étions en mai 2018. L’ambiance mêlait la solennité d’une messe et la fébrilité d’un vidé de carnaval. Bien que ce qu’il déclamait n’ait pas grand-chose à voir avec les Antilles et que souvent cela sonnait creux, il avait tant de bagout que le public était en transe. Le lendemain, je me retrouvais dans cette délégation jeunes qu’il dit avoir rencontrée. Entouré par plusieurs étudiants, le type avait l’air d’un businessman très occupé ; malgré ce qu’il avait pu dire dans son discours de la veille, il avait une stratégie claire et structurée. Ce n’était pas du carnaval et personne n’avait saisi que ce type n’était là que pour son propre combat. Kémi voulait nous mettre en remorque d’un combat plus large, celui de l’Afrique (à prononcer avec fermeté) et de la diaspora africaine contre l’Occident et les tenants d’un modèle néolibéral. Les Békés n’étaient que la représentation locale du colonialisme français lui-même un pendant d’une nouvelle forme de colonialisme, le néolibéralisme. En d’autres termes, il porte un projet afrocentriste en l’appelant panafricanisme. L’afrocentrisme présuppose que tout noir est Africain et que le peuple noir doit remonter à la source ancestrale d’une Afrique une. Plus simplement, il faut expurger toute influence occidentale pour revenir à la source pure d’une Afrique mythique, mystique. 

Le Messie Noir lui venait allumer des foyers ici et là. Il disait avoir appris de révolutionnaires latino-américains. Il insistait ne pas avoir foncièrement changé depuis la Tribu Ka. Il est alors brièvement revenu sur son parcours depuis sa jeunesse en France avec les « anciens » dont les actions se limitent à l’apprentissage de l’égyptien. Rentré en Afrique il s’était nourri d’une pluralité de spiritualités africaines, accroissant ainsi son éloignement de l’Occident.  Autour de lui, un homme qui se présentait comme un docteur en sciences politiques et deux gardes du corps antillais. En peu de mots, sa connaissance de notre situation était basique mais suffisante, car  nous étions noirs, jeunes et en colère.

En peu de mots, sa connaissance de notre situation était basique mais suffisante, car  nous étions noirs, jeunes et en colère.

Deux ans plus tard, Il est de retour en Martinique. Cette fois-ci, il partage l’affiche avec d’autres. Ce « Meeting contre l’oppression de notre peuple » organisé en l’honneur d’Anicia Berton, militante gravement malade, et Garcin Malsa, figure du nationalisme martiniquais et panafricaniste, réunit plusieurs personnalités. Mathieu Laude, porte-parole du Komité Rényoné Panafrikin (Comité panafricain réunionnais), Olivier Goudet de Trop Violans/500 Frères de la Guyane, Jay Asani « activiste de Martinik », et Pleen Pyroman, « artiste engagé de Martinik ». Oui, « Martinik » écrit avec un « k » dans un texte en Français. Au centre, la star du film, Kemi Séba.

L’affiche du meeting du 28 Janvier 2020.
Le soleil tapait fort lors de la séance photo.

La soirée débute sous le coup de 19 heures, il reste encore des places et je n’ai pas de mal à réserver des sièges pour deux guadeloupéens qui m’accompagnent. Je leur ai promis qu’il y aurait du spectacle, ils en sortiront médusés. Face à nous, le drapeau rouge-vert-noir (drapeau nationaliste martiniquais composé dans les années 60) est noyé par les couleurs du panafricanisme. Une ambiance de fête patronale flotte dans l’air et la luminosité toujours haute laisse percevoir la composition de la salle. Il y a toutes sortes de gens, des vieux qui semblent rouspéter à longueur de journée dans l’Education nationale, des mères célibataires, quelques blancs, des personnes locksées et même des rastas en basket. Un militant vend des drapeaux aux quatre coins de la salle avant que le speaker ne perturbe notre quiétude. Bientôt un tambouyé, un joueur de ti bois et un rasta reconnaissable à sa tunique blanche entonnent « Nou ka dénonsé sa ». Des répondè sont appelés à la rescousse et tentent en vain de chauffer le public. Comme à un concert ils font la première partie, comme à un concert la star du jour se fait entendre à la fin du show.

Sous une haie d’applaudissements les délégations de militants prennent place derrière la longue table que Kémi divise en deux. Les représentants commencent à discourir et de temps en temps on demande une standing ovation. Parfois, de manière très chrétienne, en  geste de communion des hommes se lèvent et tendent leurs bras vers le ciel. Tour à tour, se relaient les représentants d’organisations vaguement noires, vaguement radicales qui haranguent la foule de réflexions profondes et prétendent dire tout haut ce que pense la majorité silencieuse. « Ahou ahou ahou !» 

La Cène de Léonard de Vinci ou Kémi Seba au Grand Carbet

Comme auparavant ces gens brillent par leurs connaissances douteuses des Césaire, Fanon, Malcolm X. Dans leurs bouches, un Kémi Séba qui il y a deux ans à peine pouvait nous sortir sans broncher que les Békés étaient à la Martinique ce que les grandes familles juives étaient à l’Europe, était devenu un fils spirituel de figures de la négritude et du tiers-mondisme. Ses partisans et lui sont des êtres exceptionnels, « des Jésus » selon Kémi, qui « voient ce que les autres ne voient pas ». Nos militants locaux allant jusqu’à le comparer à un Fanon en Algérie. C’est cette rhétorique qui permet à Kémi, mais aussi à d’autres de faire parler les morts et de justifier leur profond mépris de la réalité caribéenne. Sous le discours unificateur de fierté raciale et d’une supposée spiritualité africaine unique, ils définissent constamment des ennemis intérieurs, des traîtres à leur propre sang. Il y a eux, les « nègres marrons » et les autres, « les nègres domestiques ».

Encore une fois, il nous a dépeint la Femme noire comme le poto mitan qui, à l’image de ses deux femmes, dont l’une ne voyage pas, doivent à la fois gérer le foyer, porter la société et la révolte par-dessus le marché. Au mépris des combats de générations de féministes antillaises. La femme noire a le dos large. 

Une chose  intéressante s’est toutefois produite ce soir-là. Un petit monsieur barbu s’est approché de l’estrade et nous a lancés « Je dois vous avouer que je n’ai pas pour habitude de crier sur mes camarades». Le passage a mystérieusement été coupé au montage de la vidéo officielle. Effectivement, changement de style et de méthode, le Guadeloupéen ne haranguait pas la foule et n’avait que faire de la supposée appartenance à la « Diaspora ». C’était Ludovic Tolassy, porte-parole du collectif Moun Gwadloup, qui se mobilise sur la question de l’eau courante depuis déjà plusieurs mois. Connu pour ses méthodes directes consistant à interpeller directement les élus, le collectif avait de quoi détonner. Car, en dehors de quelques déclarations de circonstance leur logiciel idéologique était tout autre. Ce soir là, ils revendiquent leur métissage, Tolassy se décrivant lui-même comme un “batazindyen”*. Quand à leurs axes d’actions, ils s’appuyaient sur une connaissance solide des textes de loi. Tout aussi engagée que les autres délégations, leur stratégie était de confronter l’incompétence des élus, l’inefficacité des syndicats et la posture du préfet. Leur but affirmé était celui de la dignité humaine, du respect de l’égalité, et d’obtenir des réparations pour la chlordécone.

La figure de Ludovic Tolassy du mouvement Moun est elle-même complexe : derrière l’utilisation de l’imagerie et de termes nationalistes guadeloupéens se cachent quelque chose de plus troublant. Des voix se sont élevées en Guadeloupe contre le mouvement, disant qu’il est une couverture du Front (Rassemblement) National.

Cela peut s’expliquer par un réseau d’alliances matrimoniales dans les commune de Saint-François et de Sainte-Rose, où beaucoup de Guadeloupéens d’ascendance indienne ont épousé des métropolitains blancs sympathisants RN. Ce qui est le cas de la députée européenne Maxette Grisoni-Pirbakas, élue du Rassemblement national. Grisoni, nom de son mari, encarté au RN. Le frère de Ludovic, Rody Tolassy, est le représentant RN en Guadeloupe et il semblerait qu’il cache son implication dans les actions de Moun Gwadloup.

Ces alliances peuvent aussi se comprendre dans le contexte d’une idéologie nationaliste hindoue de plus en plus extrême, l’Hindutva, qui s’allie à l’international avec les autres nationalismes identitaires cf. la dernière visite de Donald Trump en Inde et les pogroms anti-musulmans de Mars 2020. Z.T.

De la soirée, cela a été la seule présentation d’une stratégie claire et sans slogan. La foule guerrière s’était alors faite plus silencieuse. Il n’y avait plus de mains tremblantes se levant vers le ciel. Le contraste était saisissant.  

« A Moun Gwadloup on ne confond pas système colonial et blanc », ni an proverb ka di « A pa tout neg ki zanmi an nou, apa tout blan ki enmi an nou »

Ludovic Tolassy

C’est qu’une cohorte de Pasdaran vaguement noire, vaguement radicale n’est pas une avant-garde. Les premiers cherchent à façonner le peuple à leur image quand les seconds cherchent à se façonner à l’image de leur peuple. Mais la venue du messie aura eu pour bienfait de mettre en lumière une réalité dont beaucoup détournaient les yeux. 

Zansèt pa ka mò 

Ma génération n’a pas connu l’âge d’or que décrivent ceux qui ont plus de 25 ans. Nous n’avons jamais rencontré Manville, milité dans des groupes politiques gauchistes ou connu la guerre froide. Dans un pays aussi doté en patrimoine intellectuel, la jeunesse martiniquaise vit sur une terre sans histoire faute de transmission. 

Aujourd’hui n’importe qui peut trouver un exemplaire de n’importe quel.le.s auteur.e.s. Mais beaucoup manquent du savoir-faire qui constitue le socle de toute organisation politique, ceux de l’encadrement, de l’analyse d’une situation en identifiant des modes d’actions adaptés, des techniques rhétoriques, de la mise en réseau de militants, de la négociation etc. Sans structure politique ayant formé la jeunesse sans l’objectiver, le renouvellement d’un vivier de militants et de leaders est compromis.

À cette non-transmission s’allie la captation des lieux d’expression publique non récréatifs par les ainés et une émigration supérieure à celle du BUMIDOM*. Dans ce contexte, celui à qui l’on n’aura pas mis à 17 ans Peau noire masque blancs dans la main droite et Nation nègre et culture dans la gauche se retrouve dans un monde ou le cri prévaut sur la réflexion.

Kémi Séba est un entrepreneur politique qui se déplace partout où un malaise se fait sentir au sein d’une population francophone noire. Son discours brouille habilement les limites entre  panafricanisme et afrocentrisme et permet à lui et sa mouvance de légitimer leurs discours par le recours à des figures du panafricanisme. 

Kémi Séba est un entrepreneur politique qui se déplace partout où un malaise se fait sentir au sein d’une population francophone noire.

Attardons nous sur les termes. Le panafricanisme, du grec pan qui désigne l’ensemble d’une chose, ici l’Afrique. Il germe dans le sentiment de communauté de destin qu’établissent les populations colonisées afro-descendantes avec leurs alter ego du continent africain dès le 18ème siècle. Le Panafricanisme et ses nombreuses ramifications est à la fois une philosophie, un système de pensée et un projet politique. Il regroupe aussi bien les mouvements émancipateurs et abolitionnistes aux Amériques (Haïti), dans un premier temps ; les mouvements socio politique créés par des Africains et afro-descendants (WEB Dubois et Garvey), et la volonté des nationalistes d’unifier le continent dans le contexte de la décolonisation au XX-ème siècle (Nkrumah et Touré).  Aujourd’hui, cette définition pourrait s’étendre aux  réseaux de solidarité entre populations (afro-descendantes, africaines noires, maghrébines et arabes) pour ses manifestations plus récentes avec Aya Chebbi. Pour les panafricains toute population de la diaspora ou sur le continent ayant subi la colonisation est susceptible de s’insérer dans le projet panafricain. Si certains grands noms reviennent parfois, la distinction entre les deux notions est assez nette.  

L’afrocentrisme naît sur un campus de Philadelphie dans les années 60. Devant les difficultés que rencontrent les noirs à abolir le système raciste aux Etats-Unis, les pionniers du mouvement (Moulana Karenga, Molifi Asante et Leonard Jeffries) décident, avec leurs courants respectifs, de se tourner vers une « identité profonde » des noirs américains. En effet, recoupé sous divers noms, l’afrocentricité, l’afrocentrisme ou encore l’africologie est à ses début un mouvement essentiellement universitaire. Leur programme une “ré-africanisation” passant par des changements de noms, de pratiques culturelles, un rattachement plus que symbolique à l’Afrique, la dénonciation d’un complot occidental (blanc) et la non prise en compte des apports scientifiques et culturels des Africains et afro-descendants dans le Progrès Humain. Dans certaines variantes, l’homme noir est apprécié à son taux de mélanine. En d’autres termes, il s’agit de créer un homme nouveau, africain, noir, pur ayant pour symbole l’ankh – la croix de l’Egypte antique, symbole de la vie. L’affaire se complique quand, dans leur quête de pureté africaine, nos chers afrocentristes américains créent dans les années 70, encore aux Etats-Unis, un culte, le kémitisme. Une religion “recréationniste” sensée puiser sa source dans la religion de l’Egypte antique (egypto-nubienne),  au programme : 

  • Une femme existe pour son utérus,
  • une non-reconnaissance des identités nationales parce que les frontières ont été créées par le colon (leucoderme),
  • la vénération des ancêtres comme éléments divins (zansèt pa ka mo),
  • la salutation par un « Hotep » appuyé (terme qui les qualifie dans les pays anglophones),
  • les Kamit en tant que Premiers Hommes sur Terre sont dans l’incapacité physionomique de proférer des discours suprémacistes de haine raciale. 

Sur ce thème, la posture afrocentriste souterraine de ses avatars martiniquais travestit l’intérêt légitime de ceux et celles qui cherchent à réinvestir leur héritage africain. Car ils placent dans une relation de sujétion nos religions afro-descendantes (vaudou(s), santeria, candomblé…) au profit d’une prétendue pureté spirituelle africaine réactivée anachroniquement.  Si  nos religions partagent des traits variés avec bon nombre de cultes ouest-africains,  elles demeurent le fruit du syncrétisme (hybridation des cultes et croyances de divers populations dans le cadre du système plantationnaire) et de l’idiosyncrasie (degré d’innovation individuel au sein d’une culture).

Ici, la question n’est pas de critiquer le choix librement consenti des gens à adopter un culte, mais d’interroger l’usage politique qui en est fait. À savoir l’interprétation de religions disparues depuis des millénaires par des acteurs contemporains portant des projets politiques ont tout fait de légitimer tout et son contraire. Kémi Séba fait penser à François Duvalier. Quelqu’un qui utilise les discours d’émancipation noire pour mettre en place un régime personnel, dictatorial et fascisant :un noiriste. C’est d’ailleurs la forme que semble prendre la mouvance qu’il draine. Un leader charismatique, des hommes noirs en noir, quelques références au mystique pour asseoir sa domination, l’opacité totale sur le financement de ses actions et un discours qui rèfère constamment aux ennemis intérieurs, définis comme les ennemis principaux.

En Martinique, le rôle de Kémi est double. Il est un leader charismatique pour ses « frères en lutte », mais plus pragmatiquement pour les militants locaux, une tête d’affiche pour remplir des salles. C’est sur ce dernier aspect qu’il faut s’attarder. Si nos vieux militants qui n’ont rien produit de nouveau depuis une trentaine d’années se lançaient dans une telle aventure, même gratuite, le résultat serait tout autre. Ainsi, bien que neg mawon autoproclamés, ils ne parlent plus par eux-mêmes et ont fait le choix de substituer la création à l’importation de projet politique. L’afrocentrisme est donc utilisé afin de garder une actualité, et reflète un mouvement politique dans l’impasse.

Si l’on considère la question des réparations, après épuisement des recours en justice dans l’indifférence de la population, les résultats sont bien maigres comparés aux attentes. Écologie mise à part, c’est ce qui explique leur volonté d’investir la lutte contre la chlordécone en lui donnant le visage d’un deuxième round de  lutte pour les réparations. C’est ainsi que discursivement on passe “d’indemnisation” à “réparation” et que le combat s’étend à la lutte anti-hégémonie économique Béké. N’enlevant rien à la légitimité de ces combats, la mobilisation qu’ils en font pour faire survivre leur projet politique est tout de même préoccupante. Proposer un package kémit: identité unique, groupes d’amis, voyages en “Terre-Mère”, dieux « africains », peut s’avérer être un pari gagnant pour des  mouvements politiques sans but à court ou moyen terme. Les invitations répétées de Kémi Séba traduisent cette tendance à l’importation de projet politique dans un pays devenu infertile faute de semi.

La dernière dépêche du Mouvement International pour les Réparations (MIR) laisse entendre qu’une décision  “historique” aurait été prise par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) sur la question des réparations. Si la CEDH reconnait le droit de recours du MIR auprès des autorités françaises, cela ne signifie pas que la CEDH prend parti pour le MIR. La CEDH ayant simplement jugé la décision de la cour de cassation française de ne pas accepter le pourvoi du MIR comme étant non conforme à la Convention européenne des droits de l’Homme. En d’autres termes, le MIR aura le droit de retenter sa chance, pas que la CEDH ou les tribunaux français soient d’une quelconque manière en faveur des demandes de réparations. Sachant d’ailleurs qu’en matière constitutionnelle, comme concernant les demandes du MIR, le Conseil constitutionnel, un organe composé d’anciens présidents et de membres nommés par les présidents reste le seul maître des interprétations de la constitution française. Quoi qu’il en soit, nous sommes encore à plusieurs décennies d’un très hypothétique jugement en faveur de réparations. M.C.

Tout cela n’explique pourtant pas les raisons de l’affection d’une frange restreinte de la jeunesse pour Kémi Séba. Oui, restreinte : celle-ci est sensible au discours sur le Monde Noir et tout artefact culturel promouvant l’africanité : Black Panther, Nofi, Negus, Afropunk, Nappy, Black History Month, BLM, Burna Boy etc… tous mis dans un même panier. De là à en faire des fanatiques de Kémi Seba en soi, ce n’est pas sûr qu’ils soient très nombreux. Je n’ai pas vu beaucoup de moins de 30-35 ans devant le Palais de Justice ni dans les événements du Parc Floral. Le discours afrocentriste n’est qu’un élément d’un contexte plus favorable aux produits culturels « noirs ».

Kémi est jeune, plus jeune que Marie-Jeanne, Letchimy, et que l’essentiel de notre personnel politique. Kémi Séba s’habille bien, parle bien et mène des actions qui sont suivies par des jeunes ailleurs que dans ce fucking  pays où il ne semble jamais rien se produire. Kémi Séba et les thèses afrocentristes portent le sceau de la contestation du statu-quo et la “valorisation” d’une population noire en négociation identitaire permanente**. “Je” suis jeune, j’ai faim d’action et de changement, de ce que j’en vois son idéologie m’est acceptable. Nos aînés ont fait leur temps et ont eu leurs méthodes, mais les lignes n’ont pas bougé. Terres et vrai pouvoir sont toujours aux mains d’autres, le plus souvent celles de Békés. Notre université sensée former la jeunesse est morte. Elle a été sabotée par les rivalités politiques intestines et les jeux d’influences de ceux sensés éclairer la population. La pensée des intellectuels s’est enkystée dans le confort des reconnaissances  et ils  ne parlent désormais  qu’à eux-mêmes.  Les vieux militants à qui il reste du souffle pestent leurs vieux mots d’ordre dépassés dans l’indifférence de la population. Mes gens sont contraints de s’exiler en nombre sans cesse plus important***. En d’autres termes, « 2009-2019, ayen pa chanjé », alors au diable la méthode ! ****

A ce silence de ceux qui détiennent pouvoirs et compétences se combine la désespérance. Alors nous aurons beau jeu d’honnir les actions des voleurs de sucre armés de leurs ancêtres magiques, reste qu’ils occupent un espace politique laissé libre. Tout en cherchant à se faire martyrs de leur cause, ils s’activent et constituent un militantisme contestable, mais relativement jeune. Ils sont comme moi et encore un tiers de la population des rejetons de 2009 et de l’immobilisme qui s’en est suivi. En cela, ils provoquent le débat dans un pays qui en a bien besoin. Encore faut-il qu’à son issue, nous puissions dégager un projet de société résolument nôtre, alternatif et post-colonial. 

Notes

* En martinique “chapékouli” mais plus respectueusement un métissage indo-descendant et afro-descendant. 

** Voir Rapport annuel 2018 de l’IDEOM Martinique

*** Cédric Audebert, Régionalisme et migrations dans la Caraïbe, HAL archives-ouvertes.fr

**** Du nom d’un court-métrage réalisé par Yannis Sainte-Rose, cofondateur de RAK le média.

Sources

Amzat BOUKARI-YABARA, Africa Unite ! Une histoire du panafricanisme
Amadou Elimane Kane, Les fondements historiques du panafricanisme expliqués à la jeunesse,  
Sarah Fila-Bakabadio, Africa on my mind : Histoire sociale de l’afrocentrisme aux Etats-Unis
Qu’est ce qu’un kémit ?, www.afrikhepri.org